Menu
Libération
Dans le rétro

De Chevènement à Blanquer, trente ans de réforme du bac à la une de «Libé»

Plongée dans les archives du journal.
Une de Libération du 13 novembre 1985.
par Malaurie Chokoualé
publié le 17 février 2018 à 14h10

Le bac, c'est un peu la croix que traîne chaque ministre de l'Education nationale. Une plongée dans les archives de Libé, et l'on en ressort avec une brassée de unes. Lionel Jospin, Claude Allègre, François Fillon… Aujourd'hui Jean-Michel Blanquer : ils ont tous essayé de toucher à «ce monument national», comme l'avait appelé Jack Lang. A chaque fois, le chemin a été compliqué, jalonné de manifs, d'effets d'annonce, de tentatives et de déceptions.

L'une des tentatives répétées – depuis 1896 – est d'introduire du contrôle continu dans la note du bac. Aucun ministre n'a réussi jusqu'ici, rappelait cette semaine dans Libé l'historien Claude Lelièvre. Il a été défendu en son temps par Lionel Jospin, Claude Allègre et François Fillon. «Aujourd'hui, Jean-Michel Blanquer avait une occasion historique d'y parvenir, mais au dernier moment, il n'a pas pris le risque politique», juge l'historien. Dans la réforme dévoilée mercredi, les bulletins scolaires ne comptent en effet qu'à hauteur de 10% de la note finale du bac…

Retour sur l'histoire des réformes du bac, à travers plusieurs unes de Libé.

1985 : l’objectif de Chevènement

En 1985, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Education nationale, affiche ses objectifs. Dans un climat d’intense compétition économique internationale, l’Education nationale doit amener plus de jeunes jusqu’au bac et ainsi rivaliser avec les grands de ce monde. La France a besoin de citoyens avec un niveau élevé de formation.

Il crée en 1986 le bac professionnel, que passent aujourd'hui 30% des terminales. A la une de Libé, la désormais célèbre déclaration qu'avait faite Jean-Pierre Chevènement : «80% d'une classe d'âge atteindront le niveau du bac d'ici à 2000.» Un défi que Libération à l'époque qualifie de «colossal». En 2017, la part des bacheliers dans une génération a atteint 78,9%.

1990 : 300 000 lycéens dans les rues, Lionel Jospin dans le viseur

Trois ans plus tard, Lionel Jospin occupe le poste. La loi Jospin annonce vouloir considérer chaque élève dans sa complexité et de lui proposer un enseignement proche de ses besoins et aptitudes. Mais le 13 novembre 1990, ce sont trois cent mille jeunes qui battent le pavé. Ce mouvement lycéen réclame de nouveaux locaux, de nouveaux professeurs et surveillants et des classes allégées. Il dénonce une violence banalisée dans les écoles et un manque de moyens pour y faire face. Leurs revendications et les violences qui avaient entouré les cortèges sont à la une le lendemain matin.

En avril 1991, Lionel Jospin va plus loin dans ses propositions. Les 80% de Chevènement toujours en ligne de mire, il propose en outre de «décloisonner les filières», de lutter contre l'échec scolaire en établissant des groupes de soutien ou en diminuant les horaires. Un «lifting des lycées» qui fait la une le 23 avril de ce même mois.

1999 : la réforme Allègre

En 1999, Claude Allègre engage une réforme qui «risque de décevoir ceux qui souhaitaient une réforme ambitieuse», écrit Alain Auffray dans Libération. Les horaires ne changent pas ou peu (30 heures), on annonce des salles d'informatique et de documentation mises à disposition des élèves, le dispositif d'aide personnelle est revu à la baisse et l'éducation civique arrive au programme. La principale nouveauté est sans doute l'introduction des travaux personnels encadrés. Qui fait craindre à certains l'avènement des «lycées light» où on ne fait qu'effleurer la matière.

2003 : le bac en danger

En 2003, c’est la crise et un peu la panique. L’épreuve du bac approche et cela fait des mois qu’enseignants et élèves sont en grève face à Luc Ferry fraîchement nommé. Les lycéens condamnent la suppression des sessions de rattrapage, l’autonomie renforcée des universités, l’harmonisation européenne des diplômes et la sélection après la licence.

Emmanuel Davidenkoff écrit dans Libération quelques jours plus tard que «jamais les deux rendez-vous rituels [le bac et la rentrée scolaire, ndlr] que la France donne à son école n'ont été aussi incertains». Après trois mois de grèves intenses contre la décentralisation et la réforme des retraites, le mouvement manque d'ampleur nationale et s'essouffle devant les menaces du gouvernement et des parents. Aucune mise en danger de jeunes, de leur avenir et de leur bac ne sera tolérée. Toujours à son poste après les protestations, Luc Ferry y restera jusqu'en mars 2004, laissant sa place à François Fillon.

2005 : le contrôle continu fait des vagues

Mais voilà que «Fillon rate son bac», écrit Libé. Au milieu d'une dizaine de lycéens bouche hurlante, doigts en l'air, la une laconique fait écho à toutes les précédentes. Dans les pages, Libé interroge Hervé Hamon. Membre du Haut Conseil de l'évaluation de l'école, ce dernier a parcouru la France et observé cette énième mobilisation, sans doute la plus importante à ce jour. Présentée en janvier 2005, la réforme de François Fillon est censée «restaurer l'égalité». Au programme : six épreuves au bac, un contrôle continu, et la suppression des travaux personnels encadrés (TPE).

Les manifestations se multiplient et le 10 février 2005, plus de 100 000 lycéens se rassemblent. Près de 300 lycées sont bloqués, parfois pendant des semaines. Le mouvement se poursuivra jusqu’en avril, accompagné de débordements réguliers. Fin mai, François Fillon, amer, n’est pas du gouvernement suivant.

2008 : réformer d’abord le lycée… puis le bac

Xavier Darcos, qui reprend le ministère, met les profs dans la rue quand il annonce au printemps 2008 des suppressions de postes en pagaille, notamment des Rased (ces enseignants spécialisés qui viennent en aide aux élèves en grande diffilcuté).

Le ministre ne propose pas de réformer directement l’examen du bac, mais de commencer par s’attaquer à l’architecture du lycée. Sa réforme est une première fois abandonnée sous la pression des manifs en 2008. Elle sera finalement remise sur la table en 2009 par Nicolas Sarkozy lui-même, dans une version édulcorée et avec la promesse qu’elle n’entraînera pas de suppressions de postes. Dans les faits, les changements seront timides. L’une des ambitions – rééquilibrer les filières afin d’atténuer la suprématie de S – foire.

A cette époque, on ne parle plus de réformer le bac en lui-même. L'air du temps est plutôt à… «C'est reparti pour cent ans ?»

2011 : le bug

Cette fuite des épreuves de mathématique de la série S en 2011 fendille un peu plus la vitre en plexiglas entourant le bac. Et Libé évoque l'échec en continu qu'est la réforme de ce «monument historique».

En 2015, François Fillon assure dans une tribune à Libération : ce bug n'est qu'une preuve de plus de la nécessité de réformer «ce monument national» qu'est le bac, dix ans après sa proposition de réforme tant huée… Il remet sur la table le taux d'échec en première année d'études supérieures, l'organisation complexe qu'il nécessite, avec les risques incessants de fuites de sujets. Il somme ses successeurs d'oser une nouvelle réforme.

2017 : la réforme Blanquer

Pendant la campagne présidentielle de 2017, le candidat Macron promet aux Français de s’attaquer, s’il est élu, à ce bac, réputé intouchable mais critiqué de toute part. Un défi politique et symbolique. Arrivé au ministère l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer a la charge de concrétiser la promesse du président. Sa réforme, détaillée cette semaine, ne suscite pas pour l’instant, de mobilisation dans la rue – les syndicats enseignants peinent à rassembler.

L'objectif affiché par le ministre est de rendre l'organisation du bac plus légère et moins chronophage. Blanquer propose aussi de faire un pas vers un lycée plus modulaire : il fait sauter les filières dans la voie générale (S, L et ES), pour, dit-il, laisser plus de liberté aux élèves dans le choix de leurs spécialités. Voilà qui fait craindre à certains plus d'inégalités. Tous les lycées ne pourront pas proposer la même offre d'enseignement, et tous les élèves ne sont pas égaux dans l'information et dans les stratégies d'orientation…

Cette réforme interroge d’autant plus quand on la met en parallèle avec celle de l’accès à l’université, où désormais des pré-requis (les fameux attendus) sont exigés pour entrer en licence. Est-ce que demain les lycéens se verront fermer les portes de l’université de leur choix faute d’avoir pu suivre les enseignements dans leur lycée de secteur ?