Le flic
Visite d'un commissariat de Paris, le 31 décembre. Photo Stéphane Lagoutte. MYOP
Un bon communicant fait-il un bon ministre ? La moue de policiers interrogés par Libération indique que rien n'est moins sûr. Sans se concerter, tous livrent une analyse sensiblement identique de l'action de Gérard Collomb : il applique Place Beauvau la recette qui a fait son succès comme maire de Lyon. De la proximité - avec l'avènement de la police de sécurité du quotidien- , de la coproduction public-privé, des caméras - piétons ou de vidéosurveillance -, et beaucoup d'agitation. Ainsi, les Français, rassurés par la présence plus importante de policiers dans l'espace public, en auraient pour leur argent. «C'est habile, reconnaît une ancienne source ministérielle, mais cela ne fait pas une politique pertinente pour le pays. Collomb est jusqu'ici un ministre de la sécurité publique. Même s'il est idiot de qualifier le locataire de Beauvau de "premier flic de France", puisqu'il s'occupe formellement aussi des libertés publiques, des cultes, etc., lui se vit comme tel. Résultat, il ne travaille que sur 20 % de l'activité de son portefeuille, mais qui représente 80 % de sa surface médiatique…»
Pour se vendre, Gérard Collomb ne lésine par sur les symboles. En octobre, un an après l'agression au cocktail Molotov de fonctionnaires à Viry-Châtillon (Essonne), le ministre s'est rendu sur place revêtu d'un blouson siglé «police». Un parti pris partial assumé à l'heure où les rapports police-population sont pollués par les affaires Théo L. et Adama Traoré. «C'est une erreur de com, estime une professionnelle du secteur. En France, le ministre est un civil qui ne porte pas l'uniforme. Il doit rester au-dessus de la mêlée. Lors d'un déplacement sur la sécurité routière, le ministre est là pour saluer les gendarmes, pas pour contrôler lui-même les automobilistes. Il est tout autant ministre de la BAC que des quartiers populaires.»
Qualifié de «pragmatique», terme en vogue en macronie, Gérard Collomb semble naviguer à vue. Si beaucoup lui reconnaissent un engagement de tous les instants, les esprits les plus piquants soulignent la chance du Lyonnais d'avoir jusqu'ici échappé à un attentat majeur. Après l'assassinat au couteau de deux cousines en octobre à Marseille, Collomb avait passé ses nerfs sur le préfet du Rhône, Henri-Michel Comet, limogé brutalement. L'épisode a fortement déplu dans la préfectorale. Une façon aussi d'affirmer son autorité pour celui que l'on appelait jusque-là, en raison de son allocution saccadée, «le sinistre de l'Intérieur». Contraint de câliner un corps qu'il sait à cran, Collomb évite les pièges. En dix mois, il a peu rendu visite aux services de police judiciaire. «Il sait qu'il en prendrait immédiatement plein la gueule, euphémise Philippe Capon, d'Unsa Police. Les collègues l'attendent de pied ferme sur l'allégement de la procédure pénale, la Pnij [Plateforme nationale des interceptions judiciaires, ndlr] et les heures supplémentaires. Après des débuts tendus, le dialogue se tisse peu à peu. Mais trop de sujets demeurent en souffrance.»
Le roi des Gaules
Lors des municipales à Lyon, le 23 mars 2014. Photo Félix Ledru
A l’Intérieur, mais jamais loin de Lyon. Pour un aller-retour dans la capitale des Gaules, tous les prétextes sont bons : un match de l’OL, une inauguration ou un dîner mondain… L’hypermaire n’est pas prêt à lâcher son territoire. C’est justement en exaltant sa «lyonnitude» que l’agrégé de lettres, franc-maçon assumé, a aiguisé ses ambitions nationales alors qu’il est resté longtemps marginalisé à l’aile droite du Parti socialiste.
Au fil de ses trois mandats successifs, il s'attelle à dépoussiérer l'image de la ville : «Il a joué la carte économique, Lyon est devenu attractif. Il a aussi joué d'une certaine modernité, avec de grands rendez-vous culturels, comme la Fête des lumières ou les festivals Quais du polar, Nuits sonores, qui ont participé à son rayonnement touristique», analyse l'ex-président PS du conseil régional de Rhône-Alpes Jean-Jack Queyranne, également ministre sous Jospin. Exit l'image du socialiste moustachu doctrinaire, du «piètre orateur considéré comme un garçon qui n'arrive pas à passer le plafond», tacle le président de la fédération LR du Rhône, Philippe Cochet : le maire se forge une solide carte de visite locale, qu'il brandit à chacun ou presque de ses passages à Paris. Histoire de faire oublier ses méthodes et ses colères. «C'est un système très personnalisé, très centralisé, d'autoritarisme, relate Queyranne. Tous ceux qui ont eu l'imprudence de lui faire de l'ombre, comme Thierry Braillard ou Najat Vallaud-Belkacem, ont été tricards.» Aux législatives, le baron, marcheur précoce, fait tout pour savonner la planche à ses deux ex-adjoints à la mairie, devenus ministres avant lui, leur opposant des candidats LREM (malgré le ralliement de Braillard au parti de Macron). «Quand on regarde les investitures, Collomb, c'est Don Corleone», s'était insurgé Jean-Paul Bret, maire de Villeurbanne et soutien de Vallaud-Belkacem. Alors qu'En marche avait annoncé des désignations sur CV des candidats, à Lyon, c'est leur allégeance au boss qui a compté. «Et ça donne : si tu es là, c'est parce que je t'y ai mis… Quelque chose qui ressemble au système Frêche, mais en moins méridional», lâche un socialiste lyonnais.
Cette emprise permet à Collomb de se ménager une sortie : «Il y aura un retour anticipé pour les municipales, pronostique Queyranne. Il aura eu son bâton de maréchal et il n'est pas près d'abandonner ce qu'il a construit.» Habile avec le patronat comme avec les milieux religieux, Collomb incarne mieux que quiconque la concorde lyonnaise - pragmatisme ou arrivisme, c'est selon. Lorsque le maire est devenu ministre, Bruno Bonnell, député LREM victorieux face à Najat Vallaud-Belkacem, disait au sujet des arcanes de son mentor : «Ce n'est même plus du réseau, [il] est en pleine symbiose avec la ville […]. Elle est un peu orpheline aujourd'hui.» Bonnell a pu se rassurer, le padrino veille.
Le macroniste
Gérard Collomb et Emmanuel Macron, le 2 juin 2016 à Lyon. Photo Bruno Amsellem. Divergence
Entrer au gouvernement ? A 70 ans, celui qui a commencé à militer en 1969, au sein de la mitterrandienne Convention des institutions républicaines, pensait avoir passé son tour. «C'est trop tard, maintenant, je reste à Lyon jusqu'au bout !» prévenait Collomb fin 2016. Quand Macron lui propose l'Intérieur, dans l'entre-deux-tours de la présidentielle, son fidèle se retrouve «scotché» et se laisse un week-end de réflexion avant d'accepter. Le temps, notamment, de convaincre son épouse (lire ci-dessous).
Durant le précédent quinquennat, le sénateur et maire de Lyon avait, en vain, espéré devenir ministre. En 2014, après le limogeage de Montebourg, il a été pressenti à Bercy. L'exécutif lui préfère finalement un certain Macron. L'épisode a alimenté un sentiment d'injustice chez le maire de Lyon, dont les succès locaux n'ont jamais obtenu, au PS, le même écho que ceux de Bertrand Delanoë à Paris. «Il a sans doute été blessé que ses réussites ne soient pas mieux reconnues, qu'on ne fasse pas plus appel à lui», estime l'ex-ministre François Rebsamen.
Sous l'ère Hollande, Collomb le libéral a vite été déçu. «J'ai été le premier à lui dire, en septembre 2012, que les choses n'allaient pas dans la bonne direction. S'il avait mené une politique de l'offre dès le début, il aurait pu se représenter», affirme Collomb à Libération. Le maire de Lyon affiche aussi son scepticisme sur l'encadrement des loyers ou l'interdiction du cumul des mandats - qu'il a copieusement pratiqué. Soutien de Royal puis de DSK, cet affranchi de Solférino entretient des rapports toujours plus contrariés avec son parti, qui ne l'a jamais exclu mais auquel il ne cotise plus. «On ne peut pas nier qu'il ait été socialiste, mais son évolution est certaine : il se disait keynésien puis s'est converti au libéralisme économique», retrace un élu PS lyonnais. «Il a toujours été un réaliste, un social-réformiste, le défend Valls. On s'est à chaque fois retrouvés sur les questions de sécurité.» En 2015, avec des membres de l'aile droite du parti, Collomb fonde à Lyon le «pôle des réformateurs», pour accentuer le virage libéral du gouvernement. L'été suivant, l'université d'été du groupe accueille Macron en vedette américaine. Collomb est sous le charme : «Il était porteur d'espoir, il tranchait avec le ronron qu'on entendait depuis quinze ans.» L'élu est là quand Macron quitte Bercy à la rentrée 2016. Il fait partie des premiers socialistes à se mettre «en marche».
Lors de l'investiture de Macron, Collomb est aux premières loges, et au bord des larmes. «Nous avons vécu des moments forts», explique-t-il, soulignant sa «totale harmonie» avec le Président sur sa future loi «asile et immigration». Une proximité que les socialistes rêvent de troubler. Dans un texte publié vendredi par le Huffington Post , Jean-Christophe Cambadélis s'adresse à «Gérard» avec le tutoiement d'usage entre camarades. L'ex-patron du PS réclame «du courage, Gérard : voilà ce que nous attendons de toi. Le courage de ne pas oublier qui tu as été».
Caroline Collomb, la baronne
Gérard et Caroline Collomb à la Fête des lumières de Lyon, le 14 octobre. Photo Arnold Jerocki. Divergence
C'est curieusement grâce au Conseil d'Etat que Caroline Collomb vient de valider son entrée sur la scène politique nationale. Juge au tribunal administratif de Toulon, nommée à Paris tandis que son mari s'installait Place Beauvau, elle est devenue cet automne la référente d'En marche dans le Rhône. Une situation propice au «conflit d'intérêts», selon l'ancien élu LR de la périphérie lyonnaise Eric Forquin, qui a saisi l'institution afin d'«attirer l'attention» sur une «mutation de complaisance», un «véritable passe-droit». Pas à en croire l'avis rendu le 7 février : «Si un magistrat administratif peut assumer une fonction de responsabilité au sein d'un parti politique, c'est à la double condition que les obligations inhérentes à cette responsabilité n'affectent pas sa disponibilité pour l'exercice de ses fonctions juridictionnelles et qu'il ne soit pas, du fait de cette fonction, amené à s'exprimer d'une façon qui ne serait pas compatible avec son obligation de réserve.»
Macroniste de la première heure, devenue proche du couple présidentiel, Caroline Collomb, quadra, tout comme le locataire de l'Elysée, va pouvoir poursuivre son ascension express au sein du parti. Une fulgurance rarement commentée avec franchise par les marcheurs lyonnais, noyautés par son ministre de mari. «J'en prends acte, c'est ainsi. Je suis assez féministe, et dans un couple, chacun est une personne, a son parcours», plaide Anne Brugnera, députée LREM du Rhône et ancienne adjointe de Collomb. Encartée au PS à 18 ans, Caroline Collomb devient secrétaire de section à Lyon de 2014 à 2017 et s'affilie aux Poissons roses, une mouvance chrétienne à la marge du parti. Alors étudiante en histoire, elle rencontre Gérard Collomb en 1996. Il la fait rire, ils se marient quatre ans plus tard. Elle sympathise avec Najat Vallaud-Belkacem sur les bancs de Sciences-Po, mais les copines finiront par se brouiller. «Najat a grandi. [Caroline], elle, est restée la femme du maire de Lyon, elle veut s'affirmer à tout prix, or elle n'a pas fait ses classes», commente l'ex-président PS de la région Rhône-Alpes Jean-Jack Queyranne. «Je ne dis pas qu'elle ne peut pas organiser des choses, mais elle n'a aucune existence politique propre, si ce n'est un certain talent pour l'intrigue», assène un cadre PS lyonnais. «Dans le Rhône, sur une population d'1,7 million d'habitants, il n'y avait pas moyen de trouver quelqu'un d'autre qui aurait fait l'affaire pour représenter LREM ?» ironise le chef de file LR du département, Philippe Cochet.
Le Conseil d'Etat a néanmoins précisé que la cohabitation de responsabilités politiques «avec les attributions ministérielles, particulièrement sensibles, de l'époux de Mme Collomb implique de la part de celle-ci un surcroît de vigilance et de discrétion». Au lendemain de la victoire de Collomb à Lyon en 2001, Caroline, alors jeune mariée, disait à Lyon People : «La femme de César doit être irréprochable.» Surtout si elle marche pour Jupiter.