Nicolas Sarkozy ? Il a mis ses ministres sur écoute. Emmanuel Macron? Il a «téléguidé» la chute de François Fillon. Gérald Darmanin ? Le ministre du Budget fait du «Cahuzac puissance 10. […] Il sait ce qu'il a fait, […] il va tomber». Et Angela Merkel ? La chancelière allemande a le charisme d'une huître. Après les propos trash tenus par Laurent Wauquiez lors d'un cours donné jeudi à l'EM Lyon Business School - dont les extraits les plus cash ont été diffusés dès le lendemain par l'émission Quotidien (TMC) -, la polémique enfle. Et la plupart des leaders de la droite gardent prudemment le silence. Ou versent dans l'euphémisation lénifiante, tel Eric Woerth : «On a besoin de rassembler, pas de diviser. […] Il n'y aurait pas ces propos, ce serait peut-être mieux.» Parmi les rares à sortir du bois à LR, le maire de Meaux (Seine-et-Marne), Jean-François Copé, a fustigé dimanche auprès de Libération des «propos [qui] ne font que ridiculiser notre famille politique. Ils la caricaturent. Il a commis une faute morale et politique».
Barbouserie
Acte manqué de la part d'un homme, Wauquiez, pourtant rompu aux exigences de maîtrise de la vie publique ? Coup de billard à trois bandes d'un Machiavel capable de téléguider - ou tout au moins d'anticiper - la fuite pour mieux en tirer profit ? «La preuve que non, c'est qu'il a été obligé de se mettre à genoux devant Nicolas Sarkozy pour s'excuser. Cela tend à montrer que la fuite n'était pas intentionnelle», note l'ex-secrétaire d'Etat Frédéric Lefebvre. S'agit-il alors d'un dérapage incontrôlé d'un dirigeant politique en roue libre devant un auditoire bienveillant ? S'il y a bien une dimension de «Wauquiez Gate» qu'il semble impossible de trancher, c'est de savoir si la sortie de route du nouveau patron de LR s'est bien faite à l'insu de son plein gré. En tout cas, les dégâts sont là.
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Samedi, Darmanin, qui, la veille, avait vu classée sans suite une plainte pour viol le visant, s'est simplement dit «étonné» par la nature de ces propos «tenus dans une grande école de commerce». Laissant au patron d'En marche, Christophe Castaner, et au porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, le soin de charger Wauquiez. Alors que Darmanin est désormais ministre LREM et donc un adversaire politique de la droite dont il fut un jeune espoir, lui taper dessus n'est probablement pas un problème pour l'électeur LR alpha. Pas plus que de dénoncer le vol par la macronie de la victoire promise à Fillon. Sur le fond comme sur la forme, la droite Wauquiez adore ce qui crédibilise l'intentionnalité des faits.
«C'est un jeu de la vérité qui a mal tourné. Comme il l'a proclamé tout au long de sa campagne, il a voulu montrer qu'il n'était pas un homme politique de l'ancien temps, qu'il était capable de parler cash et "djeuns", loin de ce qu'il qualifie de bullshit de plateaux», résumaient dimanche les partisans de Valérie Pécresse. «Il a voulu faire de la transgression à la Sarkozy sans en avoir ni le talent ni le charisme. Il s'est juste rendu coupable du péché d'arrogance du type trop sûr de lui», tranche Lefebvre. «En politique, il est violent et grossier. Précisement ce que je déteste. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai pris du champ, déplore Dominique Bussereau, président de la Charente-Maritime et proche de Pécresse. Son ton de voix était trop déterminé pour que ses propos ne soient pas volontaires.» L'intéressé affirme le contraire.
L'affaire prend une tout autre dimension s'agissant de Sarkozy. Car c'est à propos de l'ancien chef de l'Etat, qui a depuis «pris acte», froidement, de ses excuses, que le professeur Wauquiez a tenu les propos les plus dommageables : «Il en était arrivé au point où il contrôlait les téléphones portables de ceux qui rentraient en Conseil des ministres. Il les mettait sur écoute pour pomper tous les mails, tous les textos et vérifier ce que chacun de ses ministres disait au moment où on rentrait en Conseil des ministres.» Une barbouserie au sommet de l'Etat dont les victimes seraient les ministres et le coupable, le président de la République. L'accusation n'est pas si courante et la réaction glaciale de la sarkozie a témoigné du degré d'offense contre celui qui est aujourd'hui le pater familias de la droite. Si Wauquiez avait cherché à marquer volontairement sa liberté vis-à-vis de son aîné, on peut faire le pari qu'il s'y serait pris autrement.
D'autant que les faits, graves, qu'il évoque avec une formulation floue, ses collègues de l'époque ne les confirment pas. «Une accusation juste barge» pour Bussereau, qui a siégé au Conseil des ministres de 2007 à 2010. «Nicolas Sarkozy avait lui-même deux smartphones devant lui qu'il compulsait frénétiquement. Nous conservions tous nos téléphones et je n'ai jamais eu l'impression d'avoir été écouté», raconte-t-il à Libération. Frédéric Lefebvre, lui, croit se souvenir qu'effectivement, «en toute fin de quinquennat, nous laissions nos portables à l'entrée de la salle du Conseil». Une mesure qui est devenue la règle en avril 2014 sous la présidence Hollande… pour lutter contre les bavardages par SMS.
Extrême droitisation
Dimanche sur BFM TV, Xavier Bertrand, qui est, lui, en rupture «définitive» avec le parti qu'il a aussi dirigé, ne s'est pas fait prier pour dézinguer Wauquiez : «Vous prenez les mots qui ont été dits là, ça pourrait être un des membres de la famille Le Pen. C'est la même tonalité, la même violence.» Bim. Une extrême droitisation du patron de LR que dénonce depuis des mois le président des Hauts-de-France : «Une des raisons pour lesquelles j'ai quitté LR, c'est cette violence, ce cynisme en politique, je ne les supporte plus. […] C'est pire que du Trump.» Bam.
Et Xavier Bertrand d'appuyer là où ça fait mal, tant Wauquiez ne peut se permettre de braquer l'ancien chef de l'Etat et ses alliés (Brice Hortefeux est son conseiller politique) : «C'est Nicolas Sarkozy qui était écouté par monsieur Buisson et pas le contraire. Laurent Wauquiez présentait Nicolas Sarkozy comme son mentor, drôle de conception.» Boom. «Brutal et Brutus», a résumé la députée LREM Aurore Bergé, également ex-LR. Brutus, qui avait participé à l'assassinat de son beau-père César, a fini par se suicider. Wauquiez, lui, vient juste de se plomber. Chez ses «amis» politiques, c'est un fait. Dans l'opinion, cela reste à prouver.