La République en marche (LREM) réussira-t-elle à inscrire dans la durée une aventure née «d'une forme de brutalité de l'histoire, d'une effraction», comme Emmanuel Macron l'a lui-même qualifiée le 13 février ? Une semaine plus tôt, l'échec cuisant des deux candidats LREM aux législatives partielles de Belfort et du Val-d'Oise avait tempéré l'optimisme jusque-là sans faille des proches du Président : les scrutins intermédiaires promettent d'être aussi délicats pour Macron qu'ils l'ont été pour ses prédécesseurs. C'est donc avec une attention redoublée que l'entourage du chef de l'Etat et les instances dirigeantes du parti présidentiel préparent les deux scrutins à venir : les européennes de 2019, mais aussi les municipales de 2020 qui seront «le vrai test pour savoir si le mouvement a réussi son ancrage territorial».
«Partenariats»
Propulsé à la tête du parti fin novembre, Christophe Castaner douche très vite les ambitions impérialistes de ses amis : faute d'un vivier d'élus, impossible pour LREM de présenter des candidats crédibles dans toutes les communes de France. Quand bien même les «projets citoyens» lancés par le mouvement feraient émerger quelques profils intéressants, le compte n'y sera pas, estime-t-il. «Les municipales sont les élections qui se rapprochent le plus de la présidentielle, de part le mode de scrutin et l'importance de l'équation personnelle, explique un proche du chef de l'Etat. Le problème pour nous, c'est qu'on part de presque rien et qu'on n'a pas 36 000 Emmanuel Macron à disposition…» Et la volonté de «dégagisme» qui a servi le parti macronien aux législatives pourrait bien s'être dissipée aux municipales dans deux ans…
Au QG du parti macronien, l'idée de favoriser les «partenariats» avec des équipes municipales en place, pour peu qu'elles soient macron-compatibles, s'impose. Pour cartographier ces possibles mano a mano LREM installe ses capteurs sur le terrain. Début février, un «comité politique» réunissant le référent du parti et les élus macroniens a vu le jour dans chaque département. «Cela devrait nous permettre de mieux nous coordonner, précise Laurent Naime, référent de l'Indre. Une grande partie des maires du département est sans étiquette et il s'agit de voir, commune par commune, qui a envie de travailler avec nous.» En contact régulier avec les élus de leur circonscription, les parlementaires sont aux premières loges pour sentir le vent. Le député du Maine-et-Loire Matthieu Orphelin surveille par exemple de près l'état d'esprit du maire d'Angers, Christophe Béchu, qui a rompu les amarres avec Les Républicains. «Il est en transition vers nous, même si cela ne va pas assez vite à mon goût…», sourit Orphelin.
Son collègue des Deux-Sèvres Guillaume Chiche soigne ses contacts avec les élus de Niort. «Le maire, Jérôme Baloge [Parti radical], pourrait bien se tourner vers nous pour les municipales, estime-t-il. Il est bienveillant vis-à-vis de LREM.» A en croire Chiche, le passage d'élus socialistes vers LREM n'est pas non plus terminé : «On se fait draguer.» Parfois, le «retour terrain» oblige à s'interroger sur les fidélités qui semblaient acquises. Comme à Nevers, dans la Nièvre, où le maire, Denis Thuriot (sans étiquette), avait proclamé son soutien à Macron durant la campagne présidentielle et dont la première adjointe est référente du parti. «Le problème, c'est qu'elle ne fait rien et qu'il a fait battre nos candidats aux sénatoriales», s'inquiète un membre du bureau exécutif.
Batailles frontales
Pour l'heure, les macronistes laissent venir. Bien décidés à ne pas déroger à cette «méthode» qui jusque-là a fait leur succès :«Notre stratégie pour les municipales, c'est construire un projet intelligent en concertation avec les habitants, martèle Pierre Karleskind, référent LREM pour le Finistère. La marque de fabrique d'En marche, c'est qu'on part du terrain, qu'on interroge les gens pour savoir ce qu'ils veulent. La méthode sera la même pour les municipales.»
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Après la «grande marche» de l'été 2016, la «grande marche» européenne du printemps 2018, plein de «petites marches» pourraient être lancées dans les villes début 2019. «Ce n'est qu'après, quand le projet prendra forme, que la question des alliances se posera», précise Karleskind. Ou pas. Car LREM sait déjà que la bataille sera frontale dans plusieurs villes. C'est l'évidence à Brest, où le maire, François Cuillandre (PS), a retiré sa délégation municipale à Karleskind en raison de ses responsabilités dans l'appareil macronien. Même configuration à Rennes et Nantes, dont les maires socialistes ne ménagent pas leurs critiques vis-à-vis du pouvoir. LREM y voit l'occasion de planter ses banderilles : dans ce Grand Ouest démocrate chrétien où Macron a enregistré parmi ses meilleurs scores à de la présidentielle… Dans le Grand Est, Strasbourg fait partie des villes visées par les macronistes : le maire (PS) sortant, Roland Ries, ne se représente pas, mais au sein de sa majorité municipale figure un groupe LREM qui nourrit des ambitions pour 2020. Dans les autres grandes métropoles - Lille, Marseille et surtout Paris, où LREM compte sa plus grande concentration de militants - l'empoignade promet d'être féroce. Avec côté macronien, la volonté de tenir la dragée haute à l'ancien monde.