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Mélenchon, candidat anti-ubérisation… sauf pour son staff

Si les comptes de la campagne insoumise ont été validés, certaines prestations sous-traitées et le recours au statut d’auto-entrepreneur posent question.
Jean-Luc Mélenchon et des membres de son équipe au premier tour de la présidentielle, le 23 avril 2017 à Paris. (Photo Boris Allin. Hans Lucas)
publié le 22 février 2018 à 20h36

Après le Monde, c'était au tour de la cellule investigation de Radio France de donner, jeudi, de nouveaux détails sur les comptes de campagne du candidat de La France insoumise. Pour les journalistes, Mélenchon aurait fait preuve d'un «recours massif à la "sous-traitance" très inhabituel», en rémunérant une partie de ses proches sous le statut d'auto-entrepreneur, mais aussi via deux structures (une association, L'Ere du peuple, et une société de communication, Mediascop) dirigées par des proches. L'entourage de Mélenchon dénonce un «acharnement». Explications.

Que reproche-t-on à Mélenchon ?

Depuis le 13 février et la publication au Journal officiel des décisions de la Commission nationale des comptes de campagne et du financement politique (CNCCFP) concernant la présidentielle de 2017, certaines dépenses du candidat de La France insoumise ont fait tiquer l'institution. Si le compte de campagne de Mélenchon a été validé, plus de 430 000 euros ont été sortis du périmètre de son remboursement par l'Etat et certaines prestations réalisées par L'Ere du peuple ou Mediascop ont été pointées. Les journalistes de Radio France apportent des détails : selon eux, Bastien Lachaud, aujourd'hui député LFI de Seine-Saint-Denis et responsable de l'organisation des meetings durant la campagne, a été payé «29 976 euros». Mais ses «services»ont été «refacturés» par L'Ere du peuple, son employeur, à l'association de financement de Mélenchon pour un montant de «129 920 euros».

Sa camarade Mathilde Panot, elle aussi élue députée (Val-de-Marne) en juin 2017, «a touché 11 040 euros brut», selon les journalistes. Or, la concernant, L'Ere du peuple a refacturé «87 150 euros» à l'association de financement de la campagne.

Ce qui interroge aussi, c'est le choix, curieux pour une campagne présidentielle, de ne pas salarier directement son staff de campagne et de faire appel, soit à une association, soit à une société de communication, soit à des personnes sous statut d'auto-entrepreneur pour payer son équipe. Radio France rappelle ainsi qu'en 2017, «l'association de financement de la campagne de Jean-Luc Mélenchon […] n'a versé que 7 949 euros» en rémunération de collaborateurs, contre 2,4 millions pour Marine Le Pen, ou 1,7 million pour Emmanuel Macron.

Que répond son entourage ?

D'abord, que ces comptes de campagne ont été «validés» . Dans un communiqué publié sur la page Facebook de Jean-Luc Mélenchon, son ex-directeur de campagne, Manuel Bompard, répond sur quelques points : «Pourquoi passer par une association ? Parce que nous avons commencé la campagne en février et que les comptes de campagne n'ouvrent qu'en avril». Concernant les «surfacturations», Bompard assure que les montants donnés par Radio France sont «faux et surévalués» : L'Ere du peuple «a facturé au prix du marché afin d'éviter un problème autrement plus dangereux qui est la sous-facturation», justifie-t-il, rappelant au passage l'affaire Bygmalion qui avait secoué la droite après 2012. Et flirtant avec le complotisme : «Pourquoi reprendre les mêmes insinuations que le Monde une semaine après lui ? Pourquoi ne faire jamais mention de nos réponses, quoiqu'elles soient publiques ? […] S'agit-il de faire une nouvelle fois diversion sur les irrégularités constatées des versements excessifs des donateurs du président de la République ?» Dans un droit de réponse au Monde (après un premier à Mediapart), Mélenchon juge «attentatoire» les «interprétations» faites sur le sujet. «Les refus de remboursements ne reposent ni sur des irrégularités - il n'y en a aucune, ni sur un manque de justifications, toutes les questions posées ayant reçu leur réponse détaillée et peuvent encore en recevoir. Affirmer le contraire revient à porter atteinte à notre honneur, au sérieux et à la rigueur de notre travail de déclaration.» Par ailleurs, Mélenchon fustige des «différends qui opposent un rapporteur manifestement orienté et le reste» de la CNCCFP. Le rapporteur qui s'était penché sur ces factures a en effet démissionné, il y a quelques mois, en raison d'un désaccord avec la commission qui avait choisi, contre son avis, de valider les comptes de campagne du candidat insoumis.

Quels points reste-t-il à éclaircir ?

Une question n'a toujours pas de réponse de la part de l'équipe insoumise : pourquoi ne pas avoir salarié directement, via l'association de financement de campagne, la plupart du staff ? Dans une campagne présidentielle, l'entourage d'un candidat est souvent rémunéré par ces structures. Même les permanents des partis politiques mis à disposition des candidats voient leurs salaires payés par le candidat et non par leur formation d'origine. Pourquoi avoir fait ce choix ? L'argument consistant à dire que sa campagne débute en février quand «les comptes de campagne n'ouvrent qu'en avril», comme le souligne Bompard, ne tient pas vraiment. Pourquoi en effet ne pas avoir, dès le lancement de l'association de financement, embauché ces proches ?

Et par ailleurs, comment justifier l'usage du statut d'auto-entrepreneur - soumis à de moindres cotisations sociales - lorsqu'en meeting, depuis des années, Mélenchon dénonce un statut d'«auto-esclavage» ?