Nouvelle langue, nouvel alphabet. Il a fallu presque tout réapprendre pour Julien Binz, 46 ans dont vingt aux fourneaux, qui a poussé loin le vice du 100 % note à note. En 2009, Pierre Gagnaire avait tâtonné six mois, toujours partant pour bouffer un nouvel idiome, avant de livrer aux journalistes du New York Times un menu façon Hervé This. De son côté, c'est l'Italien Andrea Camastra, autre précurseur, une étoile au Michelin, installé à Varsovie en Pologne, s'autorise des bouts de cuisine conventionnelle dans ses mixtures note à note, petites pluches de légumes ou rasades de laitages. Comme s'il était impossible, pour l'instant, de basculer en totalité. Mais après deux mois de tentative, Binz entend «jouer le jeu à fond».
Il commence fort dès l’entrée, changeant le convive en détective : on soupçonne une présence de truffe au milieu de cette fausse betterave, un arôme planqué dans une pièce secrète. Mais où ? Dans le nuage qui donne au plat son étoffe de rêves ? Non. Cette émulsion de protéines de lait contient une molécule de benzaldéhyde, parfum rebaptisé «amerise», l’une des 24 senteurs de synthèse à usage alimentaire que la société française Iqemusu vend aux cuisiniers, sous forme de flacons. Pour certains, «amerise» rappelle l’amande, pour d’autres la cerise. D’où son nom. Sous le nuage, Julien Binz déconstruit et reconstruit la betterave : en sorbet ou en petits cubes frais. Chaque préparation renferme de la cellulose de betterave (les fibres, qui apportent de la consistance) mais pas le goût. Le chef dégaine alors un flacon d’Iqemusu encore à l’état de prototype, des gouttes qui font penser à la betterave ou au chou - les deux légumes ont quelques points communs. Magie des parfums qui se répondent : une note de truffe germe de ces mélanges.