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Libération
Reportage

«Les gens croient que la rougeole n'est pas grave, c'est faux»

Depuis décembre, l’Agence régionale de santé de la Nouvelle Aquitaine (ARS) multiplie les initiatives pour augmenter la couverture vaccinale face à la rougeole. Mais le seuil épidémique a beau être amplement dépassé et une patiente décédée, le message a du mal à passer.
Une dose de vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole. (Photo Joe Raedle. AFP)
publié le 23 février 2018 à 13h20

Soleil d’hiver et farandole de nez rouges frigorifiés par les -1° annoncés aux frontons des pharmacies : un jour de février comme les autres à Limoges. Et si les rues sont vides c’est moins à cause de la rougeole que des vacances. Parmi les passants interrogés, aucun affolement. Pourtant depuis une dizaine de jours, avec le décès d’une trentenaire à Poitiers, pour l’Agence régionale de santé et Santé Publique France, les voyants sont au rouge. «Epidémie», martèlent les communiqués réguliers relayés par la presse locale.

Selon les autorités régionales l’épidémie aurait pris naissance chez les étudiants et les gens du voyages, deux populations fragiles et susceptibles de se déplacer avec les congés. Confrontée à un taux de propagation énorme (un malade en infectera vingt) et une couverture vaccinale autour de 80% dans la région, quand il en faudrait 95% pour stopper l’épidémie, Martine Charron, l’épidémiologiste de Santé Publique France qui collecte les données pour l’ARS depuis Bordeaux, ne voit pas venir la fin de l’épisode.

«Mon médecin, lui, ne s'affole pas», affirme Fabrice. Pour le quadra, prof de collège, c'est la rentrée lundi. Son vaccin n'est pas à jour mais il n'est pas inquiet. «On n'a eu aucune directive, sinon une fiche sur la vaccination à faire coller dans les carnets de correspondance. Et quand j'ai dit à mon généraliste que je n'avais eu qu'une injection sur deux, il a été rassurant, m'a dit que des cas de rougeole il y en a tous les ans.» D'après lui, les autorités locales ont crié au loup un peu vite.

«Mettre à jour son vaccin»

De quoi désespérer Martine Charron, qui enregistre «plus d'une dizaine de nouveaux cas par jour dans l'ensemble de la région, un quart nécessitant une hospitalisation. Nous étions à 269 patients et une semaine plus tard nous en avons 357». Soit, tous comptes faits, sur les 5 900 000 habitants que comporte la région Nouvelle-Aquitaine, moins de 400 cas répartis dans 8 départements, pour 1 180 000 personnes possiblement exposées car non couvertes. Les principaux foyers sont la Gironde et la Vienne. En professionnelle de la traque aux virus, l'épidémiologiste préconise d'éviter les contacts, de se protéger dans les lieux public, en cas de symptômes (fièvre, nez qui coule, plaques cutanées) de se rendre à l'hôpital ; et surtout de «mettre à jour son vaccin pour protéger les bébés, les femmes enceintes, les personnes immunodéprimées».

Pour l'heure, aucune donnée n'a pu être collectée sur le effets de la campagne intensive conduite par l'ARS, les pharmaciens ont jusqu'au 5 mars pour remonter leurs statistiques, mais Martine Charron est inquiète. Elle entend «comme un bruit de fond» qui n'est pas fait pour la rassurer. «Les gens croient que la rougeole n'est pas grave… Ce qui est faux : la rougeole tue et peut laisser lourdement handicapé !» rappelle-t-elle. Stéphanie, infirmière au CHU de Limoges, avoue ne pas être plus sensiblisée que ça. «A l'hôpital, il y a un parcours dédié pour les suspicions de rougeole. Mais on n'a pas eu de directive ou de contrôle concernant la couverture vaccinale des soignants.» A la maison il sont trois, dont un fraîchement vacciné. «Notre fils d'un an vient juste d'avoir l'injection, et moi comme son père devons refaire le vaccin car on n'a eu qu'une injection étant enfant.»

Les suppliques de l'ARS ne semblent perturber ni les patients, ni les professionnels. Comme ce pharmacien du centre-ville de Limoges qui a le sentiment que «les scandales type H1N1, Mediator ou pilule ont laissé des traces. Il y a une défiance envers l'industrie pharmaceutique et la politique publique de santé, pour moi c'est très net». En dix jours il n'a eu aucune demande sur la rougeole. «Par contre je continue d'avoir des questions sur la formulation du Lévothyrox», relève-t-il. Idem pour l'un de ses confrères, à l'autre bout de la Haute-Vienne, aux confins du plateau de Millevaches. Comme, dit-il, beaucoup de patients, il soupçonne «un petit coup de com' pour faire passer la pilule des 11 vaccins obligatoires. C'est de bonne guerre !» Ici aussi, «aucune demande particulière sur la rougeole. Alors que pour le coup, il n'y a pas d'adjuvant douteux. Sur le cas précis de la rougeole, le bénéfice-risque est largement favorable à la vaccination».