Avant le grand défilé du nouvel an chinois, ou plus précisément du nouvel an lunaire, dans le XIIIe arrondissement ce dimanche, l’association des résidents d’origine indo-chinoise (Arfoi), qui organise l'événement, exhibe ses trophées. Cette fois, des miliers de personnes viendront fêter l’année du chien. Accrochés sur les murs du local de l’association, les photos des anciennes éditions viennent rappeler l'échéance. Sur chacune d’entre elles, on reconnaît ça et là des têtes d’affiche connues : Valérie Pécresse, Anne Hidalgo, Manuel Valls, Jean-Marie Le Guen…
Chaque année, après le traditionnel réveil des animaux sacrés, un autre défilé se joue : celui des personnalités politiques. Présentes en tête de cortège, elles se placent derrière la grande banderole rouge de l’Arfoi qu’elles maintiennent par la main. «Nous tenons à ce que cela reste une fête républicaine, que ce ne soit pas la fête d’un seul parti. Donc les politiques, selon leurs fonctions, viennent normalement se placer à droite et à gauche du président de l’association dans l’ordre de leurs fonctions. L’ambassadeur de Chine est là aussi au côté du président», explique Huong Tan, l’un des vice-présidents de l’Arfoi. Cette année encore, l’Arfoi a invité la maire Anne Hidalgo, la présidente de la région Valérie Pécresse… qui pourraient être présents ce dimanche sur la photo. Voilà pour la théorie.
«Les socialistes n’ont même pas attendu le réveil des animaux sacrés»
En pratique, le protocole n’est jamais respecté. Les personnalités politiques jouent des coudes pour apparaître au centre de l’image. «On a des problèmes chaque année avec la banderole», regrette Huong Tan. Sur une photo de 2013 par exemple, on s'étonne de voir Manuel Valls, Bernard Cazeneuve, Anne Hidalgo [pas encore maire de Paris] et Jean-Marie Le Guen au centre de l’image, alors que l’ambassadeur de Chine est relégué au second rang, près du maire du XIIIe arrondissement Jérome Coumet. «En 2013, les socialistes n’ont même pas attendu le réveil des animaux sacrés comme c'était prévu dans le protocole, ils ont pris la banderole et ont débuté la marche», explique le vice-président. En réaction, Nathalie Kosciusko-Morizet – alors seulement députée de l’Essonne – et Valérie Pécresse – pas encore présidente de la région Ile-de-France – ont également tenu à poser aux côtés du président de l’Arfoi, la banderole à la main. Résultat, deux photos de ce moment politique en 2013 : l’une de droite et l’autre de gauche.
En 2017, au-dessus de la banderole de l’Arfoi, une autre appelant au soutien de la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024. Et les personnalités en tête de cortège de reproduire fièrement l’horrible signe de soutien à la candidature avec leurs doigts, excepté le président de l’association, Trinh Huy, qui fait la moue. «Pour les politiques, c’est la tendance : plus ils montrent qu’ils sont proches de nous, plus ils ont l’impression qu’on va voter pour eux. C’est la logique du vote communautaire, ils veulent se montrer proches des « Chinois »», analyse un associatif de l’arrondissement.
Si elle pose parfois des problème, la photo aux côtés des personnalités politiques est pourtant devenue un passage obligé du protocole. «C’est un moyen d’assoir une légitimité pour nous. On sait très bien que cette photo sera celle qui sera vue partout en Chine, avec la banderole de l’association», explique Huong Tan, l’un des vice-présidents. «Je pense que les dirigeants de l’Arfoi sont bien contents aussi. Ils sont proches du pouvoir, c’est un moyen pour eux de faire quelque chose avec le pouvoir», appuie un membre d’une autre association du quartier.
«Chacun fait sa récupération»
Pour tenter de garder la main sur l'événement, l’Arfoi continue de financer intégralement les 50 000 € que coûte le grand défilé du XIIIe arrondissement. Au plafond du temple bouddhiste, situé au sous-sol de l’association, les dons des particuliers sont suspendus pour le rappeler. Certaines entreprises locales contribuent aussi à financer l'événement. «Chacun met la main à la poche. Nous refusons les subventions des pouvoirs publics parce que nous ne voulons pas que le défilé soit récupéré», explique un autre des vice-présidents de l’Arfoi.
Chez les jeunes Français d’origine chinoise, cette tentation de récupération politique a provoqué un désintérêt pour le nouvel an lunaire. «Regardez en France aujourd’hui ce que sont devenus les défilés du nouvel an chinois. Chaque mairie, chaque institution en a un, c’est comme un carnaval. Partout où il y a des Chinois, il y a un défilé : dans le XIXe, dans le XIe… C’est juste une occasion pour les associatifs et les mairies de marquer leurs bonnes relations. Chacun fait sa récupération», décrit un jeune membre d’une association du quartier. Huong Tan, lui, ne se veut pas plus optimiste quant à l’avenir du grand défilé : «Je pense que lorsque les institutions mettront complètement la main sur le défilé, on arrêtera de l’organiser.»