Professeur à l'université Rennes-II, Gilles Richard, ancien élève de René Rémond, est l'auteur d'une Histoire des droites en France, de 1815 à nos jours (Perrin).
En réaction aux propos polémiques de Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse a réaffirmé qu’il y a «très clairement […] deux droites, il y a une droite des décibels et une droite de la crédibilité». Peut-on dire qu’il y a deux droites irréconciliables au sein des Républicains ?
En France, il y a deux droites. L'une, libérale héritière de Ferry, Poincaré et Pinay. L'autre, nationale et longtemps marginale - sauf pendant les années 30, au temps des ligues - mais qui est en plein essor depuis les années 80. Cette droite pose la question de la dilution de la France dans l'Union européenne. La crise au sein du parti Les Républicains (LR) résulte de la stratégie de Nicolas Sarkozy. En 2002, Alain Juppé a créé l'UMP qu'il qualifiait de «maison bleue» : l'idée était de rassembler le RPR, sans la tendance de Charles Pasqua, et l'UDF, qui étaient devenus idéologiquement indistincts.
L’UMP de 2002 est un parti de néolibéraux européistes. Lorsque Juppé a été mis sur la touche, Sarkozy, qui lui a succédé, a fait le choix de récupérer les voix du FN. Il a amené à l’UMP une nouvelle couche de militants, alors que l’idée de Juppé était d’attirer les sociaux-démocrates du PS comme Dominique Strauss-Kahn. C’est d’ailleurs ce que fait Emmanuel Macron aujourd’hui et qui explique le soutien de Juppé.
Wauquiez appartient-il à la droite nationale et Pécresse à la droite libérale ?
Laurent Wauquiez, dans sa formation intellectuelle et politique, n'est pas un nationaliste. Il fut d'ailleurs le disciple de Jacques Barrot [avant de le trahir, ndlr]. Porté à la tête d'un LR divisé, Laurent Wauquiez tente de refaire le coup de Sarkozy : siphonner le Front national en profitant de la crise de leadership qui le frappe. Attention, cela ne veut pas dire que le FN, dont on a déjà prédit plusieurs fois la fin, va s'effondrer. Laurent Wauquiez enfonce le clou dans le clivage entre européistes et nationalistes pour se créer un espace. Le problème des européistes, c'est qu'ils ne sont pas structurés en parti politique cohérent : ni Emmanuel Macron ni Christophe Castaner ne sont des hommes de parti. Le problème des nationalistes, c'est la médiocrité de leur tête d'affiche, Marine Le Pen. Laurent Wauquiez essaie de jouer là-dessus. Une chose est sûre : s'il réussit à se substituer au FN, il perdra la frange néolibérale
Y a-t-il un espace politique pour Pécresse si Macron est en passe de réussir l’union des libéraux ?
Aucun, elle est destinée à rentrer dans l’orbite macroniste. Après, comme cheffe de région, elle n’est pas au centre du pouvoir.
Compte tenu de la droitisation du discours de Wauquiez, comment interpréter son refus de toute alliance avec le FN ?
La droite se compose de deux familles : les néolibéraux européistes et les nationalistes. En ce sens, Wauquiez ne se droitise pas, il décide de miser sur une famille plutôt que sur une autre. Il joue la carte nationaliste car, au sein des néolibéraux européistes, Macron occupe déjà tout l’espace politique. A l’approche du congrès du FN, il fait de la surenchère. Pour l’instant, cette stratégie ne paie pas dans les sondages, où le FN reste en tête, mais les européennes sont dans un an…
Il y a dans l’ethos politique de Wauquiez de la violence, une forme de grossièreté, un refus des bonnes manières. Quel héritage, à droite, convoque-t-il ?
C’est de la démagogie, il se fonde sur l’analyse de la déliquescence des partis. Il pense que c’est de cette façon que l’on s’adresse au peuple. A sa manière, il fait du Jean-Marie Le Pen.
Wauquiez a déclaré que Macron est le «président des métropoles» qui n’a pas un «amour charnel de la France». Qu’est-ce que cela signifie, à droite ?
Cela convoque les références de la droite nationaliste telle qu'elle s'est structurée au moment de l'affaire Dreyfus, autour de la figure de Maurice Barrès, avec son roman les Déracinés. Pour Laurent Wauquiez, qui reprend à son compte cette terminologie nationaliste, Macron est naturellement un déraciné. Wauquiez en rajoute une couche pour se poser en fédérateur des nationalistes qui se cherchent un chef. Il veut amener les juppéistes à quitter d'eux-mêmes le parti pour qu'il n'ait pas à les exclure. Il fait le pari que le macronisme ne va pas se structurer en parti politique solide, tandis que LR est un parti déjà bien enraciné dans tout le territoire, avec des milliers de maires, des présidents de conseils départementaux ou de conseils régionaux. Il cherche à en faire un pôle destiné à attirer les nationalistes déçus par Le Pen qui se cherchent un chef. Certains regardent du côté de Marion Maréchal-Le Pen. Si cette dernière revient, Wauquiez aura du souci à se faire. La concurrence ne se fait pas entre Laurent Wauquiez et Valérie Pécresse, mais bien entre Wauquiez et les autres chefs de la droite nationaliste. L'entourage de Wauquiez n'attend qu'une chose, c'est que Pécresse, à l'instar de Dominique Bussereau ou Xavier Bertrand avant elle, s'en aille.
Cette stratégie peut-elle fonctionner ?
Si la stratégie de Wauquiez venait à fonctionner, LR changera totalement de périmètre, pour devenir la grande force nationaliste à la place du FN. Mais Wauquiez aura du mal à se faire passer pour un homme du peuple.
Le clivage principal selon vous, c’est donc la question européenne ?
Le capitalisme se trouve aujourd'hui dans sa troisième phase, fondée sur la financiarisation, la révolution numérique et la transmission rapide des informations. Dans le cadre de cette 3e révolution industrielle, le capitalisme doit s'abstraire de l'Etat-nation.
C’est le sens de l’Union européenne, entité néolibérale, qui est l’espace supranational dans lequel les vieilles nations européennes doivent se fondre. Les gauches, en miettes, n’arrivent pas à imposer leurs thèmes au débat public. Le clivage se fait désormais entre ceux qui refusent l’Europe et ceux qui souhaitent la promouvoir. Entre nationalistes et européistes. Deux familles politiques qui sont toutefois, selon moi, incapables de répondre aux grands défis de la société française… et mondiale.