«Je suis un bœuf argentin», «je suis un poulet français», «je suis un porc hexagonal» : avec des opposants au Mercosur – accord de libre-échange avec le marché sud-américain – joliment costumés en guise de comité d’accueil dans le hall 1, Emmanuel Macron est arrivé samedi à 7h45, porte de Versailles, à Paris, pour l’inauguration du Salon international de l’agriculture. Il en est reparti douze heures plus tard, soit après la fermeture de l’événement au public, à 19 heures, «battant» le record de durée de François Hollande de dix heures de présence lors de l’édition 2017.
Pour s’échauffer dans son marathon, Emmanuel Macron a petit-déjeuné une heure trente durant avec les représentants des organisations syndicales agricoles. Problème pour la presse : l’échange a eu lieu en dehors de leur présence. Rien n’aura filtré de ce qui s’y est dit. Pareil pour la déambulation élyséenne dans les allées du Salon, le journaliste étant logé de la même façon que le visiteur, soit derrière les trois cordons de sécurité protégeant Macron. Les années passées, François Hollande avait eu la délicatesse pour la profession journalistique de déambuler de 7 heures à 9 heures dans les allées du Salon avant l’ouverture au public. L’occasion de l’écouter échanger avec les paysans. Cette année donc, que couic. Sinon à se frotter avec le service de protection présidentiel pour qui veut approcher ses oreilles au plus près de la bouche jupitérienne.
Grand écart
Pour revenir sur la visite, d'après ce qu'on s'en est fait raconter, entre caméras et perches, il y avait la question de l'interdiction du glyphosate «d'ici à trois ans». «Si vous me donnez des leçons sur cette question, sachez que je tiendrai mes engagements», s'est défendu le Président. Une décision qui pourrait être assouplie, dixit Nicolas Hulot ce dimanche. Le Mercosur, point de tension avec la profession agricole, aura été l'un des autres dossiers sensibles de l'excursion présidentielle samedi. Selon Olivier Boulat, de la FNSEA, syndicat majoritaire du secteur : «Ces pays exportateurs sont pourris par la corruption. Ce ne sont pas eux qui vont contrôler si la viande est conforme aux normes européennes.» Pour autant, pas question de porter un jugement définitif sur le Président. «Il faut lui laisser le temps», estime le quadragénaire.
La rencontre a été aussi cordiale que l'échange débridé. Face à des professionnels on ne peut plus directs, Macron s'est montré autoritaire et ferme, lui qui se veut connaisseur des problématiques agricoles. Ce qu'a reconnu la profession dans son ensemble, malgré les divergences. «Oui, il faut défendre tous les marchés. Mais il ne faut pas opposer les filières», a rapporté un producteur de l'Aveyron après son échange avec le Président. «Il est capable de souffler le chaud, comme lors des Etats généraux de l'alimentation, comme le froid, avec le Mercosur», a scandé en écho Daniel Prieur, producteur de lait pour le comté et d'œufs en plein air dans le Doubs. Le Président assume le grand écart, avançant un «réalisme» dans «un marché mondialisé, qu'on le veuille ou non», d'après un agriculteur présent.
Huées orchestrées
Le ministre de l'Agriculture, Stéphane Travert, s'est, quant à lui, montré très discret dans l'ombre de son patron. Au fil de la journée, le chef de l'Etat va, de son côté, aller (beaucoup) et venir (aussi beaucoup). Mais la question phare qui a occupé la plupart de ses échanges convoque le Mercosur. «On n'aura jamais les moyens de vérifier les conditions d'élevage des animaux en provenance des pays sud-américains, plaide Dominique Fayel, agriculteur. D'ailleurs ce n'est pas raccord avec les Etats généraux de l'alimentation, qui nous demandent de faire des efforts sur le plan environnemental.»
Samedi, au même moment, le Président affirmait : «Au restaurant [en France], 70 % de la viande n'est pas française.» Et de déclarer : «Je vous demande de transformer le modèle.» Entre des sifflets, des applaudissements et des tentatives de selfies… Ou encore des huées syndicalement orchestrées. Oppositions auxquelles il a, presque de coutume, semblé se délecter. Réponse : «Je ne suis pas là pour plaire, mais pour faire» ; «moi, je prends des engagements et je m'y tiens» ; «moi, je réponds de ce que je fais» ; «moi, j'agis et ne me donnez pas de leçons»… Le Président est «facile», commente alors un membre de la FNSEA.