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Interview

#MeToo : «Il faut désexualiser la séquence pour la politiser»

Violences sexuellesdossier
La porte-parole du nouveau collectif 5050 pour 2020, Bérénice Vincent, estime que le cinéma français doit s’organiser autour de mesures concrètes en faveur de l’égalité.
publié le 27 février 2018 à 21h26

Exportatrice de films et cofondatrice de l’association féministe le Deuxième Regard, Bérénice Vincent est porte-parole du nouveau collectif mixte 5050 pour 2020 qui milite pour la parité, l’égalité et la diversité dans le cinéma français. Rassemblant déjà près de 300 professionnels de l’industrie représentant toute la chaîne, parmi lesquels Robin Campillo, Céline Sciamma, Jacques Audiard, Virginie Despentes, Rebecca Zlotowski, Houda Benyamina ou Virginie Efira, l’initiative se veut concrète et politique.

Comment est né ce collectif ?

Malgré l’onde de choc #MeToo, le cinéma français n’a pas vraiment été ébranlé par l’affaire Weinstein, et rien de concret n’en est sorti. Il y a eu une prise de conscience des inégalités, mais les attentes sont fortes pour aller plus loin et joindre les actes aux discours. Des rencontres ont été initiées à travers différents cercles que nous avons fait grandir en fédérant tous les secteurs de la profession, aussi bien dans la création que dans l’industrie. L’idée est de s’emparer de ce moment de manière positive pour structurer la réflexion autour de la question des inégalités et de la répartition du pouvoir. Nous fonctionnons comme un «action tank», dont l’objectif est de créer des outils de pensée, mais aussi de faire pression sur les institutions publiques et le secteur privé afin de modifier structurellement les choses. Cette volonté dépasse la simple sphère du militantisme, elle vise la profession dans son ensemble et a vocation à durer, pas seulement à s’inscrire dans un moment.

Concrètement, sur quoi basez-vous votre action ?

D'abord sur des chiffres. Nous venons de mettre en ligne un site [www.5050x2020.fr, ndlr] destiné à analyser toutes les données disponibles sur le cinéma français, afin de favoriser la prise de conscience collective et de quantifier les évolutions. A la veille des césars, une première étude est publiée sur les chiffres de l'Académie. Elle montre par exemple que sur les 42 éditions de la cérémonie, pour les catégories non genrées, 81 % des nommés étaient des hommes. Pour le césar du meilleur film, seuls 13 % des producteurs en lice sont des productrices. Pour le césar de la meilleure réalisation, 10 % des nommés sont des femmes. Et l'APC - l'association qui régit l'Académie -, compte seulement 20 % de femmes parmi ses membres. Les disparités salariales sont tout aussi criantes : excepté les postes de scriptes et de cascadeuses, tous les autres métiers connaissent des écarts salariaux, le plus grand étant celui entre les réalisateurs et les réalisatrices (- 42 %). Ces inégalités s'expliquent par le fait que les femmes ont des budgets inférieurs à ceux des hommes : - 36 % en moyenne sur les dix dernières années. Cette bataille des chiffres est primordiale pour agir sur les représentations et créer une véritable expertise sur le sujet, sans laquelle aucun débat sérieux n'est possible. On ne peut pas analyser les violences sexuelles indépendamment de la répartition du pouvoir, ce sont des dynamiques croisées. Il faut désexualiser la séquence pour la politiser et élargir la réflexion.

Quelles initiatives allez-vous porter ?

Plusieurs pistes sont à l’étude. Dans les prochains mois, le débat va s’organiser autour d’ateliers rassemblant des professionnels du secteur afin d’identifier les enjeux, poser un diagnostic clair et proposer des solutions concrètes. Nous mènerons de nouvelles études chiffrées spécifiques au cinéma afin d’accélérer la prise de conscience, et nous réfléchissons à une charte de l’égalité et de la diversité à appliquer sur nos tournages. Nous ne sommes pas du côté de la stigmatisation ou de la sanction, mais dans une logique de challenge. Tout le monde doit être concerné, les institutions publiques, mais aussi les festivals, les jurys, les écoles de cinéma, les chaînes de télévision. Le changement passe par une véritable égalité salariale dans toute la chaîne de production, qui amènera une modification profonde des représentations. Et toutes celles et ceux qui veulent se fédérer autour de ce moment de rupture optimiste sont invités à nous rejoindre.