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Colère

SNCF : un bras de fer qui fait son chemin

L’intersyndicale a reporté au 15 mars la décision d’appeler à la grève contre le projet présenté par Edouard Philippe, qui prévoit notamment de mettre fin au statut des cheminots. Mais la colère monte contre l’exécutif, qui a promis d’en passer par des ordonnances, alors que cette réforme ferroviaire n’était pas au programme du candidat Macron.
Eric Mayer (SUD Rail), mardi à Paris, à l’occasion de la réunion des syndicats de la SNCF. (Photo Denis Allard.REA pour Libération)
publié le 27 février 2018 à 20h56
(mis à jour le 27 février 2018 à 20h56)

Souvent brandie, toujours écartée, la menace d'un conflit social majeur se précise. Révoltés par ce qui leur paraît être un «passage en force», les syndicats de la SNCF, unanimes, ont fixé au 15 mars leur décision sur une éventuelle grève contre le projet présenté la veille par Edouard Philippe. «Avant l'été», la réforme de la SNCF devra avoir acté l'abandon du statut de cheminot. Selon le Premier ministre, la situation de la société publique serait à ce point dégradée (même si elle a doublé son bénéfice net, à 1,33 milliard d'euros en 2017), que le recours aux ordonnances s'impose. Véritable chiffon rouge, cette procédure d'urgence est violemment rejetée, tant par l'opposition parlementaire que par les syndicats, qui y voient un déni de démocratie. Ils ne sont pas rassurés, bien au contraire, quand le gouvernement explique que le périmètre de ces ordonnances pourra être revu à la baisse à mesure que progressera la concertation… Une forme de chantage à leurs yeux.

Emmanuel Macron et son Premier ministre peuvent-ils prendre le risque de déclencher une grève dure qui pourrait, si elle s’éternise, exaspérer l’opinion ? Une enquête Harris interactive pour RMC donnait mardi un premier élément de réponse, indiquant que 69 % des Français seraient favorables à l’abandon du statut de cheminot. Ils seraient 54 % à soutenir les ordonnances, et presque autant à faire confiance au gouvernement.

«Campagne mensongère»

Le patron de la CGT, Philippe Martinez, ne veut voir dans ces chiffres que les conséquences d'une «campagne mensongère» sur le statut des cheminots : «Des salariés qui touchent moins de 2 000 euros par mois, qui travaillent souvent la nuit, le week-end, est-ce que c'est ça être privilégié ?» Le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, veut, lui, croire que les usagers de la SNCF sont «tout à fait conscients» que la SNCF est «une entreprise à sauver». «Beaucoup se souviennent de 1995, je crois qu'on n'est pas du tout dans la même ambiance», a-t-il ajouté sur RTL, en référence aux trois semaines de grève qui avaient fait reculer l'ancien Premier ministre Alain Juppé.

Même s'il se confirme que l'opinion soutient aujourd'hui la réforme de la SNCF, les récentes enquêtes devraient inciter le gouvernement à la prudence. Selon un sondage Odoxa publié mardi par l'Express, le couple exécutif a durement chuté en janvier pour atteindre, avec 43 % d'opinions favorables, son plus bas niveau depuis la présidentielle.

Sanction de promesses non encore tenues sur le pouvoir d'achat, cette dégringolade laisse de marbre le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux : «Nous n'avons pas commenté la hausse de décembre. Je ne vais pas épiloguer sur la baisse de janvier.» Tout juste consent-il à y voir l'expression d'un «besoin d'explication» face au changement qui, par nature, inquiète.

Signe que le dossier est explosif, quelques heures avant la réunion intersyndicale de mardi soir, plusieurs ministres sont montés au créneau pour contester toute velléité de provoquer une épreuve de force. «Nous avons la volonté d'aller vite parce qu'on ne peut pas attendre. […] Cela fait trente ans qu'on recule devant la transformation nécessaire, trente ans qu'on voit les lignes se dégrader», assurait Bruno Le Maire, mardi sur France 2. La veille, sur la même chaîne, Edouard Philippe avait donné le ton : «Je ne vais pas au conflit. Moi, je ne me situe absolument pas dans une logique de guerre, de bras de fer. Je dis simplement que nous devons avancer.» Le même argument avait été avancé, avec succès, quand ont été imposées en urgence d'autres réformes réputées conflictuelles, telles celles du droit du travail, du bac ou de l'accès à l'université. Une différence de taille, toutefois, s'agissant de la SNCF : cette réforme-là n'était pas au programme du candidat Macron. «Tous les sujets ne peuvent évidemment pas être détaillés dans un programme. Et l'an dernier, nous n'avions pas encore le rapport Spinetta, qui a démontré à quel point il était urgent d'agir», se défend Benjamin Griveaux.

Chantier

Au patron de la CFDT, Laurent Berger, qui dénonce dans les Echos un passage en force, le porte-parole réplique que l'arbitrage de l'exécutif a été précédé de deux rapports, celui de Philippe Duron pour le Conseil d'orientation des infrastructures, et celui que Jean-Cyril Spinetta vient de remettre au Premier ministre, le tout précédé de deux mois de débat dans le cadre des Assises de la mobilité. La même méthode serait à l'œuvre sur le chantier de la formation professionnelle : après «trois mois de discussion», le gouvernement reconnaît volontiers que l'accord trouvé par les partenaires sociaux «va dans le bon sens». «Mais sur l'architecture globale du système de formation, le Président n'a jamais caché qu'il souhaitait aller beaucoup plus loin», ajoute le porte-parole. Griveaux feint de s'étonner que les partenaires sociaux s'en émeuvent. Il risque cette explication, furieusement jupitérienne : «Les syndicats ont peut-être perdu l'habitude de voir l'Etat fixer le cap.»