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Libération
A la barre

«Disparues de Perpignan» : Jacques Rançon jugé vingt ans après les faits

Identifié en 2014 par son ADN après dix-sept ans d’enquête, l’ancien cariste comparaît à partir de ce lundi devant la cour d’assises des Pyrénées-Orientales, notamment pour homicides volontaires et viols.
Perpignan, le 16 octobre 2014. (AFP)
publié le 4 mars 2018 à 21h36

Le dénouement de dix-sept ans d'enquête tient en ces quelques lignes rédigées par un laboratoire d'expertises, en 2014 : «Nous pouvons conclure avec une grande certitude que la trace biologique retrouvée sur le prélèvement réalisé sur le dessus de la chaussure appartient à Jacques Rançon.» Quelques cellules sur un soulier et la fin du mystère. Pendant longtemps, dans ce dossier que les médias ont baptisé «les disparues de Perpignan», les enquêteurs ont traqué une ombre, une menace sans visage qui a suscité une psychose dans la ville.

Deux femmes se sont évaporées en 1997 et 1998 aux abords de la gare : Moktaria Chaïb, 19 ans, dont le corps atrocement mutilé a été découvert sur un terrain vague, et Marie-Hélène Gonzales, 22 ans, retrouvée la tête et les mains sectionnées. Les policiers ont pensé à un tueur en série, ils ont cru à la piste d’un faux chirurgien péruvien, effectué des centaines d’interrogatoires et cherché inlassablement à démasquer l’auteur en analysant des affaires similaires. Rien. Et puis un jour de 2014, l’ADN étranger mis en évidence sur la chaussure droite de Moktaria Chaïb a «matché» : un nom est apparu au fichier national des empreintes génétiques (Fnaeg), celui de Jacques Rançon.

A partir de ce lundi et jusqu’au 26 mars, ce magasinier cariste de 58 ans comparaît devant la cour d’assises des Pyrénées-Orientales pour répondre d’homicides volontaires, tentative d’homicide, viols et tentative de viol. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 22 ans.

Diktats. Revenons au 16 octobre 2014. Lorsqu'il est placé en garde à vue, Jacques Rançon déclare d'abord qu'il ne connaît pas Moktaria Chaïb et n'a rien à voir avec le crime. Ce n'est que lors de sa sixième audition qu'il finit par admettre avoir croisé la jeune femme, par hasard, le 21 décembre 1997, sur le boulevard Nungesser et Coli. Selon son récit, il l'aurait alors entraînée sur un terrain vague pour la violer. Celui qui se décrit comme «malade», soumis aux diktats de ses «pulsions», expliquera qu'il «n'avait pas voulu la tuer à la base» mais qu'il l'a mutilée pour éviter son identification.

Dès le lendemain de l’interpellation de Jacques Rançon, alors que sa photo fait les gros titres de la presse, une certaine Sabrina contacte la police judiciaire : elle pense le reconnaître. C’est lui qui l’aurait agressée, en 1998, alors qu’elle était âgée de 19 ans. Elle se souvient encore de ses cheveux châtains avec des mèches blondes, de ses yeux bleus et ses dents en très mauvais état. A l’époque, elle attendait son petit copain sous le porche de son immeuble lorsqu’il a surgi de nulle part et a sorti un Opinel. Le coup l’a atteinte au sein gauche. Elle est restée au sol, comme morte, tandis que le bruit des voisins a mis en fuite son agresseur.

Interrogé sur cette affaire, durant sa garde à vue de 2014, Jacques Rançon élude, prétextant une «coïncidence» physique. Avant de concéder : il a bien agressé Sabrina.

Salut. Quelques mois plus tard, le 8 juin 2015, le suspect est extrait de sa cellule pour être questionné sur un autre dossier : l'assassinat de Marie-Hélène Gonzales. Cette fois, dès sa première audition, il raconte tout : la jeune femme faisait du stop, il l'a invitée à monter dans sa voiture. C'est là qu'il a commencé à «lui faire l'amour» mais comme elle hurlait, il l'a étranglée avec un fil de haut-parleur. Ensuite, il a traîné le corps à l'extérieur et l'a découpé avec un couteau de cuisine «pour qu'il pourrisse plus vite». Le juge d'instruction tente alors de savoir s'il existe encore d'autres affaires, exhume des procédures non résolues et s'intéresse particulièrement à celle de Nadjet, qui a porté plainte pour des faits d'agression sexuelle survenus à la même période, le 10 septembre 1997, et dans le même secteur.

Cette nuit-là, Nadjet, 18 ans, était sur le pont Arago quand un homme a couru vers elle, avant de la saisir par le cou et lui arracher ses vêtements. «Laisse-moi te toucher, je ne te ferai rien, j'ai besoin de tendresse», lui aurait-il dit. Elle ne devra son salut qu'aux voitures qui passaient par là. Lorsque le magistrat instructeur lit la plainte de Nadjet à Jacques Rançon, ce dernier ne le laisse pas terminer : oui, c'est bien lui. Finalement, Jacques Rançon a reconnu tous les crimes pour lesquels il sera jugé devant les assises. Ses aveux clôturent une enquête hors norme, longue de dix-sept ans et qui aura mobilisé des dizaines de policiers ainsi que six juges d'instruction.