Muriel Pénicaud avait prévenu : l’accord sur la formation signé fin février par le patronat et les syndicats, après trois mois de négociations, n’était pas à la hauteur des attentes du gouvernement. Les deux camps s’étaient bien gardés de remettre en cause la gouvernance d’un système fondé sur le paritarisme. Comme prévu, la ministre du Travail a tapé fort lundi en dévoilant sa réforme : l’Etat va reprendre en main la gestion de la formation et réduire le rôle les partenaires sociaux.
D'abord, les organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) ne survivront pas en l'état. Il s'agit de la vingtaine d'entités, gérées par syndicats et patronat, qui collectent les cotisations des entreprises destinées à payer la formation des salariés du privé, avant de les redistribuer. Ces sommes seront collectées par les Urssaf et les fonds seront centralisés par la Caisse des dépôts. En soi, «la fin de la mission de collecte par les Opca n'est pas grave», relativise Michel Beaugas, secrétaire confédéral de FO, sur la même ligne que la CGT et la CFDT sur ce point. Selon lui, le patronat y tenait plus que les syndicats, «car il disait : "C'est nous qui payons, c'est nous qui gérons."» Le Medef dénonce d'ailleurs une «nationalisation du système».
Fragile. Mais les syndicats n'en doutent pas moins de l'efficacité de la mesure. «Est-ce que l'Etat fera mieux ? avance Jean-François Foucard, secrétaire national à la CFE-CGC. Quand on voit que sur la formation initiale, dont il est responsable, 20 % d'une classe d'âge sort du système sans diplôme, on peut s'interroger.» «L'intérêt des Opca, c'est qu'ils sont très liés aux branches. C'était intéressant qu'ils puissent choisir les formations les plus adaptées», relève de son côté Catherine Perret, secrétaire confédérale à la CGT, qui craint que la réforme «n'éloigne la formation des métiers».
Car le financement de la formation et la prospective seront distincts. Rebaptisés «opérateurs de compétences», les Opca nouvelle génération n'auront globalement plus pour tâche que de réfléchir à l'avenir des métiers, sans les moyens d'adapter l'offre de formation. Une mission fragile, estime Jean-Marie Luttringer, juriste spécialiste de la formation. «Des opérateurs privés ne pourraient pas faire de même ? Est-ce vraiment utile que ces entités restent paritaires ? Il y a plein de questions encore non dites derrière tout cela», juge-t-il.
En revanche, la transformation des Opca n'aura pas d'incidence directe sur le financement des acteurs du social. Depuis la dernière réforme du secteur, en 2014, les partenaires sociaux n'ont plus le droit de piocher dans le 1,5 % des fonds de la formation à leur profit. Une contribution des entreprises dédiée au paritarisme, complétée par une subvention de l'Etat, leur est reversée selon leur représentativité. Les milliers de salariés des Opca pourraient par contre avoir du souci à se faire. Une partie d'entre eux travaillent en effet à la collecte des contributions. Pénicaud a aussi laissé entendre que les «opérateurs de compétences» seraient organisés par grandes filières économiques, et non plus par branches, ce qui pourrait réduire leur nombre.
«Noyé». Par ailleurs, les partenaires sociaux vont aussi perdre de l'influence dans la gestion de la formation au niveau national et interprofessionnel. Le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, qu'ils pilotent aujourd'hui, et le Copanef, autre instance paritaire pour la formation, vont fusionner avec un troisième organisme (le Cnefop) en une instance unique qui aura notamment pour tâche de veiller sur la qualité et les coûts des formations. Y siégeront aussi l'Etat et les régions. «On sera noyé au milieu d'autres partenaires», s'inquiète Michel Beaugas. «On n'aura plus qu'un strapontin», renchérit Catherine Perret, de la CGT, qui dénonce «un déni de démocratie sociale».