Un parc d’attractions hyperconnecté sur le thème des légendes arthuriennes verra-t-il le jour à Guipry-Messac, petite bourgade d’Ille-et-Vilaine ? C’est en tout cas le concept auquel s’attelle depuis plusieurs mois un jeune entrepreneur de Pleumeur-Bodou (Côtes-d’Armor), Aurélien Loro, entouré de 27 associés et soutenu par des entrepreneurs locaux. Le projet provoque déjà quelques remous dans cette commune de 7 000 habitants, où d’aucuns voient d’un mauvais œil l’accaparement de terres agricoles pour la réalisation d’un tel équipement. L’entreprise d’Aurélien Loro ne manque pas d’ambition, se projetant comme la future vitrine de tout ce dont les nouvelles technologies sont capables en matière de loisirs et de divertissement. Son nom ? Avalonys, contraction d’Avalon, lieu mythique où le roi Arthur aurait fini ses jours, et de la non moins légendaire cité d’Ys, engloutie par l’océan.
«Nous n'allons pas construire un parc bétonné en pleine campagne, mais l'intégrer dans son environnement, vante Aurélien Loro. Avalonys proposera un mélange d'expériences classiques et d'expériences numériques recréant la magie des contes et légendes de Bretagne, du monde de Merlin et de la fée Morgane. Il sera possible de voir voler des dragons, de lancer des sorts, de jouer au chevalier en suivant différents scénarios. Les visiteurs seront invités à interagir avec les employés, les acteurs, les autres visiteurs. Une quête du Graal sera proposée avec des énigmes qui permettront de débloquer des passages secrets dans le parc et de prolonger l'aventure sur le territoire par un parcours légendaire. Ce projet utilisera également les énergies renouvelables pour un maximum d'autonomie et un minimum d'impact sur l'environnement.»
Le concepteur d'Avalonys, qui a chiffré le coût global du projet à 100 millions d'euros pour un objectif de 500 000 visiteurs par an, promet également une «plongée dans un décor féerique et fantastique», planté d'arbres récitant des contes au passage des visiteurs et parsemé de parcours sensoriels jouant avec les odeurs, les sons, le vent… Lunettes et casques de réalité virtuelle sont bien sûr au programme, tout comme la couverture en 5G d'un territoire qui, non content d'accueillir une cinquantaine d'emplois permanents, pourrait se prévaloir d'être à la pointe des nouvelles technologies.
«Énergie positive»
«Il s'agit d'enclencher une dynamique positive avec un projet d'investissement sur vingt ou trente ans, à vocation internationale, susceptible d'engendrer des retombées économiques colossales et durables», précise Aurélien Loro. Outre sa dimension high-tech, le projet entend également mettre en œuvre un programme environnemental et énergétique irréprochable. «Nous voulons un parc à énergie positive qui s'inscrira dans le cadre d'une certification haute qualité environnementale. Ce n'est pas du marketing», assure-t-il, en réponse aux accusations de «greenwashing» soulevées par les détracteurs du projet.
Ancien producteur de spectacles, principalement dans l'industrie musicale, le Costarmoricain de 39 ans s'appuie sur un holding financier, Safea Venture, au capital de 500 000 euros. Il annonce également quelques noms prestigieux susceptibles de prendre en main la direction artistique d'Avalonys. A commencer par John Howe, célèbre illustrateur ayant assuré la codirection artistique de la trilogie du Seigneur des anneaux, ou Alan Simon, auteur-compositeur connu pour la réalisation de l'opéra-rock celtique Excalibur.
En dépit de ces bonnes fées, force est de constater que le projet de parc d’attractions du futur - dont le modèle se situerait quelque part entre le Futuroscope, le parc Efteling aux Pays-Bas et le Puy du Fou - en est encore à un stade très embryonnaire, avec seulement quelques dessins assez elliptiques. Cela n’a pas empêché la communauté de communes Vallons de Haute-Bretagne, directement concernée, de débloquer 40 000 euros pour des études préalables, ni la région Bretagne de donner son accord pour une avance remboursable de 100 000 euros.
«Très vague»
La route risque toutefois d’être longue avant les premiers coups de pioche. D’autant que le dossier voisin de Notre-Dame-des-Landes fait désormais planer sur tout projet susceptible d’accaparer des terres agricoles le spectre d’une nouvelle ZAD (zone à défendre) qui ne laisse pas de préoccuper les élus.
L'acquisition du terrain où serait édifié Avalonys, soit 78 hectares de terres aujourd'hui exploitées par neuf agriculteurs, demeure d'ailleurs le principal obstacle à franchir. Situé à quelques kilomètres du bourg de Messac, lui-même idéalement placé entre Rennes et Nantes et desservi par une gare de TER, le site est aujourd'hui la propriété exclusive de l'entreprise Butagaz, qui prévoyait d'y installer un centre de stockage de gaz, projet depuis abandonné. L'industriel serait prêt à céder le terrain au prix des terres agricoles, soit environ 250 000 euros. Mais les agriculteurs, soutenus par l'ensemble des syndicats agricoles, ne l'entendent pas de cette oreille. En premier lieu Sébastien Vétil, qui y cultive six hectares de fourrages et d'herbe pour ses troupeaux de chèvres angoras et de vaches armoricaines. «Si on pense aux nuisances, au bruit, aux problèmes de circulation, ce projet de parc est une aberration ! lâche-t-il. Mais il faut surtout préserver ces terres agricoles, c'est un enjeu d'avenir.»
Pour l’heure, la communauté Vallons de Haute-Bretagne a seulement voté un accord de principe pour le lancement d’une procédure de déclaration d’utilité publique.
A quelques dizaines de kilomètres, le Centre de l'imaginaire arthurien de Concoret (Morbihan) regarde quant à lui le projet Avalonys avec circonspection. «Il est encore très vague, relève son directeur, Nicolas Mezzalira. Mais s'il devait se faire, il est certain qu'il pourrait mettre en péril l'équilibre économique déjà fragile du tourisme en forêt de Brocéliande.»
Un comble, alors qu’Aurélien Loro promet une attractivité qui rejaillira sur d’autres sites en Bretagne. Il est en tout cas plutôt étonnant que son équipe n’ait pas encore jugé utile de contacter une association qui fait pourtant référence en matière de légendes arthuriennes.
Pour : «Une vraie opportunité de développement»
Valentin Le Breton, coprésident de l'association «Oui à Arthur»
«Pour une commune comme Guipry-Messac, Avalonys est une vraie opportunité de développement. Il ne s’agit pas de bétonner la campagne mais de créer un grand jardin à 60 % végétal avec des décors fantastiques et des bâtiments végétalisés. Les porteurs du projet souhaitent aborder sa création avec une dimension participative, qui associe habitants et artisans, une activité qui pourrait contribuer à revitaliser les commerces du bourg et un approvisionnement basé sur les circuits courts et la production locale. Les agriculteurs qui perdraient des terrains devraient pouvoir en récupérer ailleurs.
«Avalonys se présente comme un laboratoire pour les nouvelles technologies pouvant attirer des start-up aux portes de Rennes et créer de l’activité autour du parc. C’est un projet unique qui, s’il ne se fait pas à Messac, se fera ailleurs. C’est aussi une page blanche où tout reste à inventer dans une optique de développement durable, en favorisant la biodiversité - des abris à hérissons et chauve-souris sont prévus - ou en optimisant la gestion des déchets. Ce n’est pas un projet de businessmen venus de Paris, mais de Bretons qui aiment la région. Ce peut être une fenêtre sur la Bretagne, une porte d’entrée, tout le monde peut y trouver son compte».
Contre : «Un projet qui ne vise qu’à la folklorisation de notre patrimoine»
Jean-Marc Feunten, cofondateur de l'association «la Puce»
«Dans un département où disparaissent entre 700 et 800 hectares de terres agricoles chaque année, notre première préoccupation est la préservation de ces terres. Il faut permettre aux agriculteurs d’acquérir les 80 hectares concernés par le projet. D’autant qu’avec les routes et les parkings à aménager, ce ne sont pas 80 hectares qui disparaîtraient, mais le double, avec une artificialisation irréversible. Qu’on aille faire de la réalité augmentée dans des friches industrielles, d’anciens bâtiments, dans une logique de développement durable plus cohérente !
«On nous parle d’emplois induits, mais l’agriculture aussi en génère. Les parcs d’attractions sont dans un modèle de développement des années 70-80, d’un autre temps, avec une rentabilité très aléatoire. Quant à la chasse aux Pokémons, dont Avalonys semble s’inspirer, on n’en parle déjà plus. On se retrouve face à un projet qui sort de nulle part et qui ne vise qu’à la folklorisation de notre patrimoine culturel alors que la clé d’une réussite économique et touristique, c’est l’authenticité. Ici, nous avons déjà des circuits verts, un patrimoine culturel riche, un maillage très dense d’artisans et de producteurs locaux qui fonctionnent en circuits courts et ont besoin de terres pour produire, pas pour organiser du camping ou des gîtes.»