Il y aura bien un procès Balkany. Soupçonnés d’avoir dissimulé plusieurs millions d’euros au fisc, le maire de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) et son épouse viennent d’être renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris pour «fraude fiscale», comme l’a révélé mercredi Europe 1. Confiée au juge Renaud Van Ruymbeke, l’enquête avait été ouverte en juin 2015 après une plainte de Bercy, visant à la fois l’impôt sur le revenu et l’impôt sur la fortune (ISF) des époux. Faisant sauter son traditionnel verrou, l’administration fiscale avait alors saisi la justice sur la base d’éléments dévoilés par une autre enquête ouverte en décembre 2013 pour «blanchiment de fraude fiscale», élargie par la suite à des faits de corruption. Les agents du fisc ont peu apprécié de découvrir, entre autres, que les revenus déclarés par Patrick et Isabelle Balkany entre 2010 et 2012 n’atteignaient même pas les salaires versés à leurs six employés de maison sur la même période.
Peignoir. L'enquête des juges financiers a confirmé les pratiques peu orthodoxes du couple en matière fiscale ainsi que son goût prononcé pour l'argent liquide, en grosses coupures de préférence. Il en va ainsi des billets de 500 euros oubliés par monsieur dans les costumes confiés au pressing, ou de ceux régulièrement échangés par madame auprès de la patronne de l'Intermarché local pour éviter de se les voir refuser en caisse. Du cash que les enquêteurs ont retrouvé un peu partout au gré de leurs perquisitions, dans des enveloppes, sur la table de nuit et même dans les poches d'un peignoir brodé aux initiales du maire de Levallois-Perret. Entre 2007 et 2014, selon les calculs du parquet, au moins 13 millions d'euros ont été dissimulés au fisc par le couple.
Une grande partie aurait été blanchie dans l’immobilier de luxe, notamment aux Antilles et au Maroc. Plusieurs biens occupés par le couple ont fait l’objet d’investigations poussées, les montages complexes d’acquisition justifiant le lancement d’une vingtaine de commissions rogatoires internationales. C’est le cas de la célèbre villa «Pamplemousse», à Saint-Martin, acquise via une société-écran enregistrée au Liechtenstein et évaluée à plus de 5 millions d’euros. Après des mois d’atermoiements, Isabelle Balkany a fini par reconnaître en garde à vue que l’habitation lui appartenait bien. En revanche, tout comme son époux, elle continue de nier être propriétaire du riad Dar Gyucy, au Maroc, acheté en 2009 plus de 5,8 millions d’euros, dont 2,5 millions en dessous-de-table. Une opération réalisée grâce au savoir faire de l’avocat Arnaud Claude, ancien associé de Nicolas Sarkozy mis en examen pour «blanchiment de fraude fiscale».
Pour prouver leur bonne foi, les époux ont transmis à la justice des contrats de location fournis par leur fils Alexandre. Des contrats «fictifs», selon les magistrats, uniquement destinés à «dissimuler à l'administration fiscale ce bien immobilier et échapper ainsi à l'impôt de solidarité sur la fortune».
Manoir. Concernant enfin leur manoir de Giverny, dans l'Eure, les époux n'en ont déclaré que l'usufruit, estimé à 148 000 euros, alors que la propriété de quatre hectares est évaluée à plus de 4 millions d'euros, et aurait donc aussi dû être soumise à l'impôt de solidarité sur la fortune. Reste désormais à établir un calendrier judiciaire. Dans le volet «blanchiment», le Parquet national financier (PNF) avait déjà pris ses réquisitions en juillet 2017, réclamant le renvoi en correctionnelle du couple pour «blanchiment de fraude fiscale aggravée», «corruption passive» et «prise illégale d'intérêt». Mais de nouveaux éléments d'enquête ont obligé les magistrats à rouvrir l'instruction in extremis. Selon nos informations, il s'agit d'une commission rogatoire en Afrique, que les juges n'attendaient plus. Un document qui ne devrait toutefois pas changer grand-chose au fond. Dans son dernier réquisitoire, le PNF avait souligné la «distorsion» entre les revenus déclarés des époux et leur train de vie, insistant sur «l'accroissement de leur patrimoine corrélativement à leur carrière politique». Un patrimoine acquis «pour l'essentiel grâce aux fonctions publiques exercées par Patrick Balkany», précisait le parquet. La fraude fiscale et son blanchiment étant connexes, la justice pourrait décider de joindre les deux procédures. Il n'y aurait alors qu'un seul et même procès pour l'ensemble des faits visés.