Déjà mis en examen pour deux viols, le théologien suisse musulman Tariq Ramadan voit sa situation se compliquer grandement. Une troisième plainte pour viols a été déposée mercredi après-midi, auprès du parquet de Paris, a appris Libération des avocats de la plaignante, une femme d'origine maghrébine d'une quarantaine d'années, habitant le nord de la France. «M. Ramadan a imposé des relations sexuelles systématiquement violentes et sous la menace constante de révélations des échanges qu'ils avaient eus (photographies, vidéos et messages), violences allant crescendo lors de chacune des rencontres exigées par M. Ramadan», selon la plainte que Libération a pu consulter.
Contactée via Facebook
Rencontrée mercredi après-midi près de chez elle, Marie (le prénom a été changé) qui se dit «musulmane croyante et pratiquante», explique, à Libération, qu'elle a été contactée par Tariq Ramadan via Facebook, en février 2013, une méthode qu'emploierait fréquemment le théologien pour approcher des femmes. «Je n'ai jamais assisté à aucune de ses conférences», précise-t-elle. Frêle d'apparence («j'ai perdu plusieurs kilos ces derniers temps à cause de cette affaire», confie-t-elle), cette mère de famille, très entourée par ses proches qu'elle a prévenus de sa démarche, a hésité à porter plainte contre le prédicateur. «Ce que je veux par-dessus tout, c'est protéger mes enfants. Qu'ils ne subissent rien à l'école, ou ailleurs à cause de cette plainte, poursuit-elle. J'ai pris ma décision en février lorsque Tariq Ramadan a été incarcéré. J'étais sûre de ne plus subir de menaces», explique Marie.
Très pudique, souvent bouleversée et assaillie de sanglots, la quadragénaire déroule pendant deux heures, dans un petit studio prêté par un proche, le récit d'une relation de domination, d'humiliations, de punitions, de violences… Elle dit avoir gardé des centaines de messages échangés via Skype, WhatsApp ou Viber, des vidéos et des photos intimes que Tariq Ramadan lui réclamait sans cesse. «Il voulait que je l'appelle maître, savoir ce que je faisais à chaque instant. Si j'allais acheter du pain sans l'avoir prévenu, il me disait qu'il allait me punir.»
Elle répugne à donner les détails dérangeants de la douzaine de rencontres qui ont eu lieu entre février 2013 et juin 2014, à Bruxelles, Londres et Paris et dans une autre ville qu'elle ne souhaite pas indiquer. La première se serait déroulée, comme le relate la plainte, dans la capitale belge, au Radison Blue Hôtel. «J'ai renoncé à un voyage pour me rendre à ce rendez-vous», dit-elle, étonnée et séduite qu'un tel personnage s'intéresse à elle. «Il savait déjà tout de moi à travers les échanges que nous avions eus pendant une semaine», dit Marie. Selon la plainte, le prédicateur lui aurait donné des instructions précises pour qu'elle le rejoigne en toute discrétion.
Cauchemar
Très vite, selon les dires de Marie, la rencontre tourne au cauchemar. «Au bout de quelques minutes, il m'a tirée par les cheveux, m'a mise à genoux et m'a imposé une fellation qui m'étouffait. En me tenant la tête, il me disait "avale cela, chienne !"», raconte, en larmes, Marie. Après une pénétration vaginale imposée, Tariq Ramadan aurait entraîné la jeune femme dans la salle de bains. Le récit qu'elle livre de la suite rappelle l'agression relatée par Christelle, l'une des deux autres plaignantes.
Ancienne escort girl très occasionnelle («quelques relations tarifées», selon son récit à Libération), Marie aurait rompu avec la prostitution bien avant sa rencontre avec Tariq Ramadan. En 2015, elle a témoigné dans la sulfureuse affaire du Carlton. Soupçonné (avec d'autres prévenus) de proxénétisme aggravé, Dominique Strauss-Kahn avait été finalement relaxé. Tariq Ramadan aurait utilisé le passé de la jeune femme pour faire pression et l'obliger à poursuivre la relation contre son gré. «Il s'est servi de tout ce que j'ai pu lui raconter, en me menaçant de tout montrer à ma famille, en disant que cela m'anéantirait et que cela mettrait à terre», raconte Marie.
«Notre dernière rencontre a été la plus dure et la plus violente», confie-t-elle. Selon la plainte, Tariq Ramadan lui aurait «ordonné d'amener une autre femme avec elle». Mais la rencontre à trois tourne court. Le prédicateur, selon le témoignage de Marie à Libération, s'en serait alors pris très violemment à elle. «J'ai failli mourir, j'avais la tête écrasée dans les coussins. Il m'étranglait pendant qu'il me pénétrait», confie-t-elle. Refusant dès lors toute rencontre, Marie explique qu'il lui a fallu quelques mois pour rompre définitivement. «Je veux un jour pouvoir lui dire tout le mal qu'il m'a fait», souffle-t-elle…
Détention provisoire
Placé depuis un mois en détention provisoire à la prison de Fleury-Mérogis, Tariq Ramadan a toujours nié les accusations des deux premières plaignantes, Henda Ayari et Christelle. D'ici la fin du mois, une nouvelle expertise médicale devrait trancher si son état de santé est compatible avec son incarcération. Le prédicateur affirme souffrir d'une sclérose en plaques et d'une neuropathie d'origine inconnue.
Sa mise en détention a suscité un tollé dans les milieux de l'islam militant. Relayée par les réseaux sociaux, une campagne très efficace met en cause la justice française, l'accusant de vouloir abattre Tariq Ramadan pour des motifs politiques. La décision de la cour d'incarcérer le théologien a été notamment justifiée, «par crainte que celui-ci ne renouvelle les faits de viol s'il était remis en liberté.» Deux autres motifs ont été avancés : le risque de pressions sur les témoins et les victimes, et la crainte d'une fuite à l'étranger.