C'est la première rencontre de l'industriel avec les élus et les représentants de l'Etat depuis le 27 février, jour où il a annoncé sa décision de «ne plus investir» sur son site de Blanquefort, où 900 salariés fabriquent depuis les années 70 des boîtes de vitesse et autres pièces détachées. Ce vendredi, la direction Europe de Ford va devoir s'expliquer face à un front exceptionnellement uni.
«J'ai hâte de savoir si le ton sera le même devant les élus, genre : au revoir et merci !», confie Gilles Lambersend, secrétaire CGT du comité d'entreprise. Véronique Ferreira, maire PS de Blanquefort, participera à cette réunion du comité de suivi, le mors aux dents. «Depuis 2012, et notamment en 2017, Ford nous a tenu des propos rassurants sur l'avenir du site. Creux mais rassurants. Ford nous doit des explications face à son manque de bon sens, de respect et d'éducation.» L'élue, qui a presque l'âge de l'usine, sera entourée du président de la métropole, Alain Juppé, du président de la région Nouvelle Aquitaine, Alain Rousset (PS), du président du conseil départemental de la Gironde, Jean-Luc Gleyze (PS), et de l'émissaire de Bercy, le délégué interministériel à l'industrie, Jean-Pierre Floris. Ford affirme avoir investi 150 millions de dollars sur le site depuis cinq ans, et soutient que les pouvoirs publics l'ont accompagné à hauteur de 12,5 millions d'Euros. En fait, le total des aides publiques sur la période s'élèverait à 49,8 millions d'euros, selon l'expert économique du comité d'entreprise. L'accord quinquennal qui contractualisait toutes ces aides en échange du maintien des effectifs arrive à terme en mai. Sans attendre, Ford vient donc d'annoncer aux salariés que les études de faisabilité sur les productions possibles à Blanquefort - une usine isolée, loin de ses sites d'assemblage - pointent un manque de viabilité.
Bataille. «Blanquefort FAI est un site très spécialisé. Or le marché français et européen est peu demandeur de boîtes automatiques. Et la voiture électrique dont nous allons produire 40 nouveaux modèles d'ici cinq ans, n'en sera pas équipée», précise le directeur de la communication de Ford, Fabrice Devanlay. Le constructeur affirme toutefois que «la situation est très ouverte», et qu'il est prêt à étudier toutes les solutions. Mais pour Philippe Poutou, secrétaire du syndicat CGT de l'usine et ex-candidat NPA à la présidentielle, «ce qui est en train de se passer, c'est ce qu'on dénonce depuis cinq ans. Alain Juppé et Bruno Le Maire sont aussi énervés que nous : Ford a trahi». Depuis des mois, l'activité subit une érosion. Et les départs en retraite ne sont plus remplacés depuis longtemps. La moyenne d'âge a ainsi grimpé à 51 ans. «Les collègues se rendent bien compte qu'on a été mené en bateau. Pendant longtemps, il y avait une résignation énorme face au rouleau compresseur d'une multinationale. Depuis quelques jours, on sent que l'envie d'agir revient», constate Poutou. Une mobilisation dont le premier test aura lieu ce vendredi, avec l'appel de l'intersyndicale à manifester devant la préfecture, où se tiendra la réunion du comité de suivi.
«Petite élue locale, je ne joue pas dans la même catégorie qu'une multinationale américaine, reconnaît Véronique Ferreira. Mais sur ce dossier, tous les acteurs ont le même objectif : faire rester Ford à Blanquefort.» Ce qui a incité la maire a lancé une bataille numérique. A la une du site internet de la ville, elle incite ses concitoyens à s'emparer du hashtag #demandeaford. «Cette action permet à l'ensemble d'un territoire de s'exprimer rapidement pour dire à Ford de rester.» D'autant qu'à Blanquefort, tout le monde se souvient que Ford a déjà rendu les clés en 2009… avant de revenir en 2011 sous la pression des salariés. «Le repreneur n'a pas été à la hauteur. Et comme Ford était encore au conseil de surveillance, nous avons pu obtenir son retour», se souvient Gilles Lambersend.
«Piège grossier». Reste la piste d'un éventuel repreneur. Dimanche, dans Sud-Ouest, le président de la chambre de commerce et d'industrie de Bordeaux, Patrick Seguin, a indiqué avoir un candidat. Ford Europe, de son côté, a proposé de réunir une task force pour rechercher des repreneurs… «Piège grossier» pour Philippe Poutou. Les élus, les syndicalistes et Bercy préfèrent égrener leurs arguments économiques en faveur du maintien des investissements de Ford : les perspectives d'évolution vers l'hybride et l'électrique en lien avec le tissu industriel régional ; l'arrivée du nouveau modèle Ford Ecosport ce printemps ; la qualité de l'outil, des équipes qualifiées ; la place disponible. Et le fait que Blanquefort est la seule usine du groupe à fabriquer des boîtes de vitesse en Europe. «Il faut donc ramener des volumes, au lieu de fabriquer en Asie ou au Canada. C'est bon pour l'environnement et ça fera baisser le coût de production à l'unité», explique le syndicaliste Gilles Lambersend. «On peut toujours faire des arbitrages entre des sites. Mais on ne va pas maintenir une production sans se préoccuper des attentes du marché», répond Patrick Devanlay. Philippe Poutou, de son côté, ne perd pas totalement espoir : «On ne se berce pas d'illusions. Mais nous avons de solides points d'appui pour influer sur la suite.»