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Libération
Témoignage

«Il voulait que je l’appelle maître, savoir ce que je faisais à chaque instant»

Outre le volet américain de l’affaire Ramadan, «Libé» a recueilli mercredi le témoignage d’une troisième plaignante.
Tariq Ramadan lors d’une conférence de presse à Ivry-sur-Seine, près de Paris, le 14 novembre 2003. (Photo Martin Bureau. AFP)
publié le 8 mars 2018 à 20h36

Le ciel s’assombrit au-dessus de la tête du théologien suisse Tariq Ramadan. Outre l’enquête de police en cours aux Etats-Unis, il fait désormais l’objet de trois plaintes pour «viols» dans l’Hexagone. Emanant d’une quadragénaire, d’origine maghrébine, habitant le nord de la France, la troisième a été déposée mercredi après-midi auprès du parquet de Paris. Les faits : une série de viols présumés, qui auraient eu lieu entre février 2013 et juin 2014 dans des hôtels, notamment à Londres, Bruxelles et Paris, le plus souvent, aux dires de la plaignante, en marge de conférences de Tariq Ramadan.

Le témoignage de Marie (le prénom a été changé), recueilli mercredi après-midi par Libération dans la ville où elle vit, fait état d'une relation d'une extrême violence, faite d'humiliations, de soumissions, de punitions. En contact permanent via Skype, WhatsApp ou Viber, le prédicateur surveillait, selon les dires de la victime, constamment ses faits et gestes. «Il voulait que je l'appelle maître, savoir ce que je faisais à chaque instant. Si j'allais acheter du pain sans l'avoir prévenu, il me disait qu'il allait me punir», confie-t-elle.

«M. Ramadan a imposé des relations sexuelles systématiquement violentes et sous la menace constante de révélations des échanges qu'ils avaient eus (photographies, vidéos et messages), violences allant crescendo lors de chacune des rencontres exigées par M. Ramadan», lit-on dans la plainte que Libé a pu consulter.

«Double vie». Le récit de Marie comporte des similitudes avec ce qui figure dans les deux premières plaintes : même mode d'approche des victimes, pratiques sexuelles et menaces quand elles rompent. Mère de famille très entourée par ses proches, Marie, souvent en larmes quand elle évoque ce passé, confie par bribes les sévices qu'elle affirme avoir subis. Lors de leur dernière rencontre, «j'ai failli mourir, dit-elle. J'avais la tête écrasée dans les coussins. Il m'étranglait pendant qu'il me pénétrait».

Ancienne escort-girl très occasionnelle qui a rompu avec la prostitution bien avant sa rencontre avec le théologien, Marie a témoigné dans la célèbre affaire du Carlton. Ce sulfureux passé, connu de Ramadan, aurait été utilisé pour faire pression sur la jeune femme afin qu'accepte de donner suite à leurs relations. «Il s'est servi de tout ce que j'ai pu lui raconter, me menaçant de tout montrer à ma famille, disant que cela m'anéantirait et me mettrait à terre», raconte-t-elle.

Jusqu'à maintenant, le prédicateur a toujours nié les accusations dont il fait l'objet et bénéficie de la présomption d'innocence. «Les faits dont vous me parlez ne m'évoquent rien», a-t-il déclaré aux enquêteurs les 31 janvier et 1er février, lors de sa garde de vue. Confronté à cette occasion à «Christelle», la jeune femme qui l'accuse de l'avoir violé à Lyon le 9 octobre 2009, il a seulement reconnu une relation de séduction. Rien de plus.

«Ramadan préférera se laisser condamner pour viols en clamant que la justice l'abat pour des raisons politiques plutôt que de reconnaître qu'il a mené une double vie», estime un avocat, proche de l'entourage de Ramadan.

«Casse la ligne». C'est cette stratégie de défense qui est désormais mise à mal. «Dans la plainte de Marie, il y a beaucoup de contenus, des milliers de pages d'échanges, des vidéos, des photographies, confirme une source proche du dossier qui a consulté l'ensemble de ces pièces. Ramadan ne pourra plus être dans le déni. C'est déjà beaucoup. Cela casse la ligne qu'il tient depuis le début de cette affaire.» Contactés par Libération, les avocats du prédicateur n'ont pas donné suite.

Depuis plusieurs semaines, l'imminence d'une troisième plainte à l'encontre du théologien était annoncée. Lors de l'enquête préliminaire, une vingtaine de femmes auraient été entendues par la police, selon des sources proches du dossier, certains ayant témoigné anonymement. «J'ai longtemps hésité, a confié Marie lors de sa rencontre avec Libération. Ce que je veux, par-dessus tout, c'est protéger mes enfants. Qu'ils ne subissent rien à l'école, ou ailleurs, à cause de cette plainte. J'ai pris ma décision en février lorsque Tariq Ramadan a été incarcéré. J'étais sûre de ne plus subir de menaces.»

Dans les milieux musulmans, la troisième plainte a provoqué un nouveau choc, certains demandant aux journalistes en lien avec Marie de lui transmettre leur soutien. Les supporteurs du théologien, jusque-là très virulents, restent pour le moment silencieux. L’enquête en cours aux Etats-Unis risque aussi de les mettre dans l’embarras. Ils ont en effet axé leur campagne de soutien sur la dimension politique du dossier, soupçonnant la justice française de vouloir abattre leur mentor à cause de sa notoriété et de son influence au sein de l’islam francophone.