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Libération
Interview

Olivier Favereau : «Les dirigeants seraient mieux protégés face aux actionnaires»

Pour Olivier Favereau, économiste, les entreprises n’ont aucune raison de craindre l’inclusion dans le code civil de leur responsabilité sociale et environnementale.
publié le 8 mars 2018 à 20h36

Olivier Favereau (photo DR) codirige le département Economie et société au Collège des Bernardins. Il prône une gestion de la «société» dans l’intérêt de l’«entreprise».

Faut-il inclure dans le code civil la responsabilité sociale et environnementale dans la définition des entreprises ?

Ce n'est pas indispensable pour qu'une entreprise se soucie de sa responsabilité sociale et environnementale (RSE), car celles qui le veulent le font déjà, et celles qui polluent doivent réparer les dommages. Mais cela donnerait un coup de fouet à la RSE. Surtout si la rédaction est intelligente. La meilleure option se trouvait dans la proposition de loi «Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances» du groupe Nouvelle Gauche, discutée en janvier à l'Assemblée nationale et renvoyée en commission en attendant le projet du gouvernement. Elle disait simplement : «La société doit être gérée dans l'intérêt de l'entreprise en tenant compte des conséquences économiques, sociales et environnementales de son activité.» Un rapport de Terra Nova publié lundi reprend cette proposition, en remplaçant «conséquences» par «impacts», qui a une connotation moins négative. Mais la vraie innovation, c'est la première partie de la phrase : «La société doit être gérée dans l'intérêt de l'entreprise.» La société, ici, au sens de société anonyme, est l'entité juridique créée par les actionnaires. L'entreprise ajoute tout le reste : salariés, sous-traitants, banquiers, Etat, riverains, etc. Et le problème vient du fait que cette énorme organisation qu'est l'entreprise est pilotée par la petite organisation en son sein qu'est la société, c'est-à-dire les actionnaires. Aujourd'hui, l'entreprise est gérée dans l'intérêt de la société anonyme. Ce devrait être l'inverse.

La RSE existe déjà dans la loi, par exemple dans la loi Hamon. N’est-ce pas suffisant ?

En modifiant le code civil, on vise toutes les sociétés, au-delà de celles qui relèvent de l’économie sociale et solidaire. Et cela faciliterait une réforme peut-être plus importante encore : la codétermination. Il s’agit d’avoir un tiers de salariés dans les conseils d’administration, comme c’est déjà le cas dans la majorité des pays d’Europe.

Le patronat estime que les entreprises peuvent s’autodiscipliner…

Il est frappant de voir à quel point le Medef et l’Afep sont sur la défensive. Leurs arguments sont très faibles. Le statu quo leur va très bien, avec une conception facultative de la RSE. C’est la position officielle des associations patronales. Mais les responsables d’entreprises, petites ou grandes, sont bien plus ouverts. Un exemple : depuis la loi de 2013, il y a un salarié ou deux dans les conseils d’administration des grandes entreprises. Cette réforme avait suscité d’énormes réticences. Mais aujourd’hui, tous les dirigeants qui en ont fait l’expérience disent qu’il est utile d’avoir l’avis de ceux qui sont les plus concernés par la pérennité de l’entreprise. Les actionnaires, eux, peuvent revendre leurs actions dans le quart d’heure…

Le Medef et l’Afep craignent aussi que les contentieux contre les entreprises se multiplient. Est-ce fondé ?

Mes collègues juristes disent que c’est un fantasme absolu. Ils n’arrivent pas à citer de cas où quelqu’un attaquerait une entreprise qui respecterait la loi. En revanche, les dirigeants seraient mieux protégés face aux actionnaires agressifs, qui cherchent des gains à très court terme.