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Interview

Dominique Bussereau : «Si on supprime le statut de cheminot, la SNCF devra mieux payer ses agents»

L’ancien ministre des Transports sous Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy soutient, avec quelques réserves, la réforme de la SNCF qu’entend engager le gouvernement d’Edouard Philippe. Il détaille pour «Libération» sa vision du modèle ferroviaire français ainsi que les raisons qui l’ont poussé à quitter Les Républicains.
A Paris, le 1er mars. Fils de cheminot, Dominique Bussereau a été secrétaire d’Etat aux Transports de 2002 à 2004 et de 2007 à 2010. Il a récemment quitté Les républicains. (Photo Rémy Artiges pour Libération)
publié le 11 mars 2018 à 19h16

Fils et petit-fils de cheminots, Dominique Bussereau a été plusieurs fois ministre des Transports, sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Aujourd'hui président du conseil départemental de la Charente-Maritime, il est partisan de la réforme de la SNCF engagée par le gouvernement d'Edouard Philippe. Mais il refuse le gel de certains projets de lignes à grande vitesse et propose d'examiner au cas par cas le sort des «petites lignes». Démissionnaire des Républicains, il se dit désormais «libre» et conseille «à titre personnel» Valérie Pécresse, qui a créé son propre mouvement.

La réforme actuelle de la SNCF n’est-elle pas celle dont rêvaient les gouvernements de droite ?

Nous avions, avec Xavier Bertrand [alors ministre du Travail, ndlr], mis en place le service minimum, l'ouverture à la concurrence du fret. Si nous ne l'avions pas fait, la SNCF, qui a 40 % de parts de marché dans ce métier, les aurait perdues faute de compétitivité. Nous avons créé une autorité de régulation indépendante. Il est vrai que chaque fois que j'ai proposé que l'on aille plus loin, notamment sur la modification du statut, à la manière de ce qui s'est passé en Allemagne où une partie des agents est restée dans les statuts et une autre en est sortie, je n'ai jamais rencontré d'enthousiasme au niveau des chefs d'Etat ou de gouvernement. Dans cette affaire, tout le monde disait "c'est une bonne idée, mais…" La réforme de la SNCF, ni la droite ni la gauche n'ont jamais réussi à la mettre en œuvre. Manuel Valls avait commencé à discuter du statut des cheminots et puis il a lâché en rase campagne. Et nous n'avons pas avancé beaucoup sur le sujet. J'espère que ce gouvernement va tenir jusqu'au bout. Il ne faut pas que le corps des cheminots se sente agressé, parce que c'est la survie de l'entreprise qui est en jeu.

Adhérez-vous à l’ensemble des propositions du rapport Spinetta ?

Je fais partie de ceux qui ont été entendus par la mission Spinetta. J'approuve ce qui a été écrit, sauf sur trois points. Le haro sur le TGV, alors que le fait d'aller de Bordeaux à Toulouse à grande vitesse est fondamental. Il s'agit de la quatrième agglomération française, avec le siège de l'entreprise française la plus exportatrice [Airbus] et la ville est desservie par 40 vols par jour au départ de Toulouse. Pour le bilan écologique, ce n'est pas terrible. Par ailleurs, le rapport ne respecte pas les contrats de plans Etat-régions. Ils ont été signés par Matignon sous Manuel Valls et impliquent des financements dans les régions et les départements, notamment sur le réseau dit des «petites lignes». Cette espèce d'oukase parisien me paraît inacceptable. Lorsque j'ai rencontré le Premier ministre, la semaine dernière, je lui ai indiqué que l'on ne peut pas, pour mener une réforme, combattre à la fois les organisations syndicales qui jouent leur rôle et tous les élus de France. On peut regarder certaines lignes, mais il y a un problème de cohérence pour l'ensemble du réseau. Les petites lignes sont comme des petits ruisseaux. Elles amènent des passagers aux grandes lignes. C'est le principe de la capillarité.

Pour autant, peut-on continuer à construire des lignes à grande vitesse, compte tenu de leur coût et de leur déficit ?

Le principe du TGV à la française, c’est qu’il va sur les petites lignes comme sur les lignes à grande vitesse : c’est comme cela qu’on dessert la vallée alpine. Sur Marseille, nous avons fait diminuer la part de l’avion de plus de la moitié. Sur Bordeaux, elle est train de se raréfier. Sur Lyon et Lille, elle a disparu. En outre, il faudra un jour une deuxième ligne Paris-Lyon qui partira de la gare d’Austerlitz et qui descendra dans le Berry. La ligne actuelle, qui absorbe le trafic vers la Méditerranée, va être très vite saturée. Quant à la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, c’est avant tout un problème politique. Nous avons signé un contrat avec l’Italie.

L’abandon du statut de cheminot pour les nouveaux recrutés est-elle une condition indispensable de la réforme de la SNCF ?

Mon père était cheminot, ma mère cheminote et mon grand-père cheminot. J’ai vu ce qu’était dans les années 70 la contre-société SNCF. Il y avait un médecin de la SNCF, des colonies de vacances SNCF. J’allais faire des courses à l’économat de la SNCF et je logeais dans un appartement de la SNCF. Aujourd’hui, cette contre-société a diminué, comme le nombre de cheminots, qui a été divisé par trois ou quatre. Ils vivent comme tout le monde, même si c’est dans des appartements de la SNCF au même titre que ceux de la Poste ou de la RATP. Quant aux facilités de circulation (les billets gratuits), sur lesquelles on fait beaucoup de chahut, quand un cheminot a besoin de partir un week-end, il prend souvent sa voiture. Le statut, ça reste important pour les intéressés parce que la SNCF rémunère moyennement ses agents. Donc, si on supprime le statut des cheminots, qui permet une augmentation régulière de salaire chaque année, la SNCF doit se préparer à payer beaucoup plus cher ses agents. La SNCF devra payer au prix du marché, sinon elle ne trouvera pas de conducteurs. Elle a déjà, d’ailleurs, du mal à en recruter. Elle ne trouvera pas, non plus, de contrôleurs. Il faut que la SNCF sache qu’elle va devoir faire un effort salarial.

La méthode choisie par le gouvernement ne vous pose-t-elle pas de problèmes ?

Les ordonnances, il ne faut pas en faire un plat. Tous les gouvernements y ont recours. Il y a, au préalable, une loi d'habilitation qui permet de discuter des journées et des nuits entières si on le veut. Ensuite, une loi de ratification qui permet de faire la même chose. Tous les gouvernements de droite comme de gauche de la Ve République ont utilisé cette procédure, notamment quand c'est un peu technique et quand ils veulent aller vite.

Une grève vous semble-t-elle inéluctable ?

Une grève à la SNCF comme à la RATP pose un problème majeur. Elle gêne les plus modestes, ceux qui n'ont pas de voiture, habitent loin de leur lieu de travail, les étudiants, les banlieusards de Paris et des grandes villes. Le pays a cependant changé depuis 1995 [et les grèves sous le gouvernement Juppé]. La SNCF de 2018 n'est plus celle d'il y a vingt-cinq ans. Depuis, il y a le covoiturage des applis téléphoniques, une information plus développée et surtout, le service minimum a été instauré. Enfin, depuis une décision de Jean-Pierre Raffarin lorsqu'il était Premier ministre, on ne paie plus les jours de grève. Parfois c'était ambigu, on laissait au chef d'établissement le soin de s'en occuper, ce qui veut dire que l'on payait, mais discrètement. Désormais, les salariés qui font grève acceptent un sacrifice financier lourd. Ensuite, le service minimum nous permet de savoir quel train partira et quel autre ne partira pas.

L’ouverture des lignes SNCF à la concurrence bénéficiera-t-elle vraiment aux voyageurs ?

Il y a déjà un exemple en France : le transport aérien. Il y a trente ans, très peu de Français montaient dans un avion. Il y avait un monopole d’Air France. Aujourd’hui? les Antillais ont quatre compagnies qui desservent leur région, idem pour les Guyanais ou les Réunionnais. Dans le ferroviaire, en Italie, sur la liaison Rome-Milan, le fait qu’il y ait deux compagnies en concurrence a amélioré le trafic et l’opérateur historique a dû améliorer les fréquences et le confort de ses trains.

Avec la concurrence, on peut faire baisser les coûts d’exploitation de 25 %. C’est ce qui s’est passé en Allemagne où Transdev, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, ou encore Keolis, filiale de la SNCF, ont fait tomber les coûts pour les Länder. En France, il y a déjà une ligne exploitée par le privé, dont on ne parle jamais : Carhaix-Paimpol, gérée par Transdev avec des autorails légers et une seule personne à bord qui fait office de conducteur et d’agent d’accompagnement. Cela a permis de réhabiliter cette ligne créée par le général de Gaulle. Sinon, elle aurait disparu.

Vous venez de quitter Les Républicains. Que reprochez-vous à Laurent Wauquiez ?

Rien à l’homme. Je trouve qu’il a un bon bagage intellectuel. Il est intelligent et cultivé. J’ai mis les voiles en janvier et là, j’ai hissé le grand foc la semaine dernière. Le problème tient au fond. En 2002, sur l’Europe, nous nous sommes aperçus que gaullistes, centristes, libéraux et radicaux, nous disions à peu près la même chose. A la demande de Chirac, avec Jérôme Monod, Hervé Gaymard et Renaud Dutreil, nous avons poussé à la création de l’UMP. Sarkozy a été battu en 2012 parce qu’il avait beaucoup droitisé son discours et perdu dans la foulée l’électorat centriste. Ce mouvement vers la droite s’est poursuivi avec la création de LR. Aujourd’hui, le langage sur l’Europe n’est pas le mien. Et puis ce style d’opposition qui consiste à dire que si Macron dit «il gèle», Christian Jacob va répondre «il fait soleil»… Ce style d’opposition systématique n’est pas dans mon tempérament. Je ne suis ni macroniste ni «En marche», je suis libre et indépendant.

Vous êtes conseiller spécial auprès de Valérie Pécresse, présidente de «Libres !». Qu’attendez-vous de ce mouvement ?

J’y suis allé par sympathie personnelle. C’est une femme courageuse. Quand elle a été ministre des Universités, elle a fait des réformes intelligentes. Elle a gagné la région Ile-de-France, ce qui n’était pas évident. Les gens qui sont autour d’elle sont ouverts. Ce n’est pas la droite «scrogneugneu». C’est la droite que j’aime, ouverte et capable de rassembler. Toute la vie politique va se réorganiser. Non seulement aux européennes mais surtout aux municipales, où nous allons être confrontés à des alliances tous azimuts. Quand j’entends Jean-François Copé dire qu’à Paris, il faut une alliance LR et LREM, je pense que nous aurons toutes les combinaisons possibles. Le coup de pied aux fesses que nous a donné Macron est salutaire. Cela prouve simplement que nous n’avons pas été bons. Le renouvellement viendra des municipales et du tissu local.

Pourquoi les présidents de département ont-ils saisi le Premier ministre à propos des mineurs étrangers non accompagnés ?

L'an dernier, 50 000 jeunes mineurs étrangers sont entrés en France, dont la moitié est restée sur le territoire national. Ce sont à 95 % des garçons et ils viennent de moins en moins souvent de théâtres de guerre comme l'Afghanistan et de plus en plus souvent d'Afrique francophone. Le phénomène touche tous les départements. Nous en avons parlé avec le président de la République, qui nous a dit que cette question relève de la compétence de l'Etat. Or, ils sont aujourd'hui pris en charge par l'aide sociale à l'enfance [l'ASE, gérée par les départements]. Nous avons donc à faire face à un problème humain et social mais aussi financier. L'an dernier, l'arrivée de ces jeunes a entraîné une dépense de 1,2 milliard pour les départements et l'Etat nous a remboursé 70 à 100 millions. Nous attendons de l'Etat une prise en charge plus importante.

Photo Rémy Artiges