L'exécutif sera-t-il contraint de recourir au référendum pour faire passer sa réforme des institutions ? Clôturant mercredi soir ses consultations des parlementaires, Edouard Philippe, le Premier ministre, a mesuré l'opposition de la droite sénatoriale à une partie du projet. Des propositions, comme le «contingentement du nombre d'amendements» selon la taille des groupes politiques, sont rejetées par la majorité, qui ne se bouscule pas pour défendre la restriction des droits de l'opposition. Difficile de voir comment l'exécutif pourra construire l'«accord global» évoqué par ses représentants. Faire adopter le volet constitutionnel de sa réforme par les deux Chambres puis par les trois cinquièmes des parlementaires a tout de la gageure.
«Coup de force». D'où l'idée, jamais démentie par l'exécutif, d'un recours au référendum. Ne serait-ce que sur les mesures qui ne nécessitent pas de toucher à la Constitution : réduction d'un quart à un tiers du nombre de parlementaires, limitation à trois du nombre de mandats successifs, dose de proportionnelle aux législatives. «Notre objectif, c'est un accord sur l'ensemble du projet, insiste Christophe Castaner, secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement et patron de La République en marche. Mais si le désaccord est insurmontable, on verra comment on avance sur les engagements pris par Emmanuel Macron devant les Français pendant la campagne.»
Après avoir longtemps joué l'indignation face à ce possible «coup de force» court-circuitant le Parlement, plusieurs responsables de l'opposition ont changé de stratégie. Et mettent désormais Macron au défi. « L'enjeu démocratique exige la tenue d'un référendum, a lancé mardi dans l'hémicycle le chef de file des députés communistes, André Chassaigne. C'est au peuple de choisir s'il souhaite que ses représentants élus soient remplacés par la "technocrature".» Olivier Faure, à la tête du groupe Nouvelle Gauche, affirme que «le référendum est la voie que nous devons privilégier parce qu'elle permettrait d'avoir un débat qui soit le plus clair possible». Le socialiste veut prendre à témoin les Français de «ce qui est entrepris par le pouvoir exécutif qui, méthodiquement, cherche à brider tous les contre-pouvoirs». «Chiche !» lance le député LR Damien Abad, prêt à «jouer le match République hors sol contre République des territoires» : «Emmanuel Macron n'a pas vraiment envie d'aller au référendum, devine-t-il. C'est comme la dissuasion nucléaire, personne n'y a intérêt, mais tout le monde brandit la menace.»
A sa sortie de Matignon, le patron des députés LR, Christian Jacob, n'en est pas à jouer cette partie de poker : « Le référendum ce n'est pas notre problème, c'est celui du président de la République.» Mais, prévient-il, la droite ne laissera pas l'exécutif jouer sur tous les tableaux. Si LR finit par toper avec l'Elysée, « ça ne pourrait être qu'un accord global» sur les trois textes : constitutionnel, organique et ordinaire. En clair : pas question d'accepter le volet constitutionnel, qui est le plus consensuel (réforme du Conseil supérieur de la magistrature, fin de la Cour de justice de la République, etc.), si le Président prévoit de contourner leur «niet» par un référendum sur les points qui posent problème, comme la proportionnelle ou la baisse du nombre de parlementaires. L'idée de l'opposition est de piéger l'exécutif à son propre jeu, le référendum n'étant pas la voie la moins risquée pour le pouvoir. «A la minute où vous l'annoncez, la peur change de camp»,reconnaît un député LREM.
«Blocage». Au contraire, l'allié François Bayrou est partisan d'un appel au peuple. Le président du Modem avait fait de la dose de proportionnelle une condition sine qua non de son ralliement. «J'étais pour que le référendum se fasse dès le 18 juin, en même temps que le second tour des législatives, car j'étais déjà persuadé que toutes les forces traditionnelles s'uniraient pour que rien ne bouge, explique-t-il à Libération . Ce sont des sujets qui doivent, par nature, être tranchés par le peuple en cas de blocage.» Ce faisant, Bayrou aurait les mains plus libres pour obtenir de Macron les 25 % de proportionnelle qui pourrait à l'avenir faire du Modem un parti charnière à l'Assemblée nationale. L'exécutif, qui ne veut pas braquer son allié, mais pas non plus aller jusque-là, renverra-t-il la question aux électeurs ?«Le suffrage universel ne m'a jamais fait peur», a lancé Edouard Philippe mercredi.