«Avant de refaire le monde, on va déjà refaire des merguez.» Si une révolution antibarbaque est, dit-on, en marche, de braves et nobles défenseurs cocoricos de la chair animale, tel ci-devant le penseur-acteur Daniel Prévost, ne lâchent pas l'affaire carnée. Quitte à s'incarner en barbares consommateurs d'une alimentation intransigeante vis-à-vis de l'espèce animale, cautionnant une morale et des pratiques iniques.
Ce faisant, l’élevage français leur en sait gré, qui, en 2012 - ce sont les dernières données disponibles - comptait 210 376 exploitations consacrées à cette activité, représentant 304 670 emplois à temps plein. Partant, les industries agroalimentaires de transformation, de conservation et de préparations de viande pesaient 34 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans l’économie tricolore, alors que la France exportait la même année pour 3,5 milliards d’euros de viandes et d’abats. De son côté, en 2012, chaque «patriote» soutenant la première agriculture européenne a mangé en moyenne 90 kilos de viande terrestre : 32 kilos de porc, 26 kilos de volaille, 25 kilos de bœuf, 4 kilos de lapin et d’équidé, et enfin 3 kilos de mouton et de chèvre. Soit 240 grammes chaque jour. Preuve que l’omnivore français reste très majoritairement carnivore.
Côté restauration, la patrie de Rabelais et Gargantua compte 170 000 établissements, du vendeur de kebabs à l'auberge gastronomique triplement étoilée. «Dont 100 000 en traditionnel», indique l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), syndicat de la profession. Impossible toutefois de connaître auprès de la première organisation professionnelle la proportion des cafés, hôtels et restaurants le nombre de lieux ayant rayé de leur carte les viandes et autres produits issus de l'élevage animal.
Les rayons des librairies illustrent aussi cette appétence populaire pour la viande avec des ouvrages de saison. La Cuisine d'Auguste Escoffier, soit «600 recettes du père de la gastronomie française revisitées par deux grands chefs» - Christian Constant et Yves Camdeborde - remet en lumière des préparations à base de viandes : rognons de bœuf, tournedos chasseur, turbotin bonne-femme… L'inspiré Grillé de Hugo Desnoyer, visite pour sa part la viande sous toutes ses déclinaisons via 60 recettes de viandes grillées, rôties, mijotées et braisées. De même, le chef Alain Passard, «rôtisseur trois étoiles» qui a décidé de rompre avec la viande au tournant du millénaire pour célébrer la betterave, le céleri et le navet en noces légumières, a récemment réinvité la bidoche à sa carte.
Les émissions télé consacrées à la bouffe ne sont pas en reste, qui proposent aux candidats de retirer devant les caméras la carapace et les pinces des langoustines vivantes avant de les baigner dans de l’eau bouillante ; ou encore d’ouvrir des anguilles ou d’éviscérer des pigeons (morts ceux-là).
Dernière illustration, on ne peut plus incarnée de la hype carnivore : la montée en vente, pour les plus snobs ou fortunés qui veulent afficher leur amour de la protéine animale au sommet de l'hyperluxe, de viandes de races rares. Ainsi, une entrecôte de bœuf de Kobé peut être découpée dans un kilo valant 1 000 euros avant d'être dégustée au restaurant. Ainsi, aussi, la floraison de restaurants texans dans la capitale, avec force barbaque cuite au fumoir sous toutes les coutures. Fréquentées par des hipsters (casquette, tatouages et chemise à carreaux), ces «smokehouse», proposent poitrine de bœuf (briskets), travers de porc (ribs) et burgers ricains de tradition. Reste à y inviter Daniel Prévost pour célébrer l'internationale du barbecue.