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Transports collectifs à Paris : la gratuité sur de bons rails ?

En annonçant le lancement d'une étude sur la gratuité du métro et des bus notamment, Anne Hidalgo, maire de Paris, ouvre un débat de société sur une mesure mise en œuvre ailleurs, mais dans de plus petites villes.
A Paris, en février. (Photo Stéphane de Sakutin. AFP)
publié le 20 mars 2018 à 18h42

C'est ce qu'on appelle un coup. En évoquant, dans une interview aux Echos, le vote mercredi de la gratuité des transports publics pour 220 000 seniors parisiens sous conditions de ressources, la maire de Paris, Anne Hidalgo, semblait assurer la promotion ordinaire d'une mesure municipale mais pas du tout. Voilà que sur la question d'une éventuelle gratuité totale des transports collectifs en région parisienne, elle n'écarte rien : «Je ne veux pas trancher cette question mais objectiver le débat.» En clair, on va étudier l'affaire. Une mission va être confiée à trois adjoints, Jean-Louis Missika (urbanisme), Christophe Najdovski (transports) et Emmanuel Grégoire (budget), sachant que la gratuité ne pourrait être envisagée que pour une capitale «dans laquelle la place de la voiture polluante n'est plus centrale». Autrement dit, pas demain matin.

Une manœuvre politique ?

Dans la foulée de l'interview de la maire, son premier adjoint, Bruno Julliard, a affirmé : «Il n'y a aucun doute que les transports seront au cœur de la campagne municipale.» L'étude annoncée ne portera certes que «sur la faisabilité de la gratuité» et, par rapport à la région, organisatrice des transports publics avec Ile-de-France Mobilités (ex-Stif), «il est impensable que le Conseil de Paris décide seul d'une telle mesure». Ces précautions oratoires n'ont toutefois pas empêché la droite parisienne du groupe LR de réagir en dénonçant «une diversion», tentée «en pleine tourmente». Si les transports se révèlent au centre de la campagne comme c'est prévisible, une proposition avant-gardiste comme celle-là occupe le terrain, au moins un temps.

Une gratuité faisable à Paris ?

Quelques chiffres s’imposent. Pour déplacer les 12 millions d’habitants de la région Ile-de-France, et quelques bons millions de visiteurs en plus, il faut prévoir une dépense totale de 9,4 milliards d’euros par an. Les entreprises fournissent 40% de l’enveloppe, en réglant 3,7 milliards au titre du versement transports, à quoi s’ajoutent 861 millions d’euros de remboursement du pass Navigo à leurs salariés. Les collectivités territoriales versent de leur côté 1,8 milliard de contributions, assurées à 51% par la région, dont 30% par Paris et 8% par les Hauts-de-Seine, troisième contributeur.

Et les voyageurs là-dedans ? Leurs achats de titres de transport représentent 2,7 milliards d'euros. Les voyageurs paient donc environ un tiers de ce que coûtent les transports (28,5%). Du coup, le calcul est simple: la gratuité coûterait 2,7 milliards d'euros. Mais à qui? «Je déteste ce terme "gratuité", dit un élu de la majorité parisienne. Il faut bien que quelqu'un paie. Sans compter que l'arrivée du Grand Paris Express obligera sans doute à revoir le système de tarification ou à réintroduire un zonage.»

Enfin, sur quel périmètre accorder la gratuité ? «On ne peut pas savoir où habitent les acheteurs de billets», fait-on remarquer chez Ile-de-France Mobilités. Donc, c'est toute la région ou rien. Bien sûr, on peut créer des catégories de voyageurs selon leur âge ou leur niveau socio-économique mais pas selon la géographie.

Une expérience tentée ailleurs ?

Ils ne sont pas nombreux les réseaux de transports collectifs qui ont décidé de cette gratuité: 15 sur un total de 300 en France à la date de juin 2017, selon le Gart (Groupement des autorités responsables de transports). Ils sont rares mais opiniâtres. S'il existe des pionniers comme Compiègne (1975) ou Chantilly (1992), le mouvement s'est surtout développé dans les années 2000. On a beaucoup entendu parler d'Aubagne (2009, 111 617 habitants) et, en 2017, dans la même dimension démographique, de Niort (123 571 habitants). Pour le reste, même si «la gratuité séduit un nombre croissant d'agglomérations», elles se recrutent parmi celles qui ont «majoritairement de moins de 50 000 habitants», note le Gart.

Toutefois, la communauté urbaine de Dunkerque (199 893 habitants) a décidé de rendre gratuit son réseau de transport en 2018. Dans un article sur «Dunkerque, nouveau laboratoire de la gratuité des transports», les chercheurs Henri Briche et Maxime Huré soulignent le «contexte institutionnel très critique vis-à-vis de la gratuité des transports». Le Gart, par exemple, «n'encourage pas cette pratique». Pour les deux auteurs, il serait pourtant temps d'étudier sérieusement les effets de la gratuité des transports. «Cette hostilité théorique ne doit pas éclipser le déficit d'enquêtes scientifiques récentes pouvant attester des effets d'une telle politique.»

Une mesure utile ?

Dans nombre des villes qui sont passées à la gratuité, la décision avait souvent une finalité sociale mais pas seulement. Outre qu'elle remplit les bus et optimise le fonctionnement du système, elle contribue aussi à ramener des habitants de périphérie à la fréquentation d'un centre en déclin. A Dunkerque, où un quart des ménages ne possède pas de voiture, la gratuité est une aide à la mobilité. De plus, dans la même agglomération, le maire de Grande-Synthe, l'écologiste Damien Carême cité dans l'article de Briche et Huré, estime qu'elle doit «élever l'agglomération au rang de figure de proue des territoires industriels en transition écologique».

Dans le monde , 107 réseaux ont adopté la gratuité. En Europe, c'est Tallin (440 000 habitants), la capitale de l'Estonie, qui «fait office de référence comme "capitale des transports gratuits"», selon les termes de la Commission européenne. La gratuité a été instituée en 2013 après référendum. Elle est financée par les impôts locaux. N'y ont droit que ceux qui résident à Tallin et y sont contribuables. Mais comme la ville a domicilié 22 000 personnes de plus en quatre ans, elle a pu s'offrir la gratuité de ses transports.