Quand il a commencé à s'interroger sur son avenir dans l'Education nationale, il y a environ cinq ans, Nordine se souvient des mines effarées de ses collègues. «Mais aujourd'hui, c'est différent, on me dit que j'ai de la chance ! assure ce professeur de collège. Beaucoup en ont ras le bol et feraient pareil s'il y avait plus de passerelles entre les métiers du privé et l'enseignement.» Sa passerelle, Nordine l'a construite seul, en décidant il y a un an de prendre une année de disponibilité pour monter son entreprise de rénovation. Une prise de risque importante pour ce père de famille, qui cumule vingt-deux ans dans l'Education nationale. Il a commencé l'enseignement après l'obtention d'un DESS d'ingénieur technico-commercial : «Il fallait que je bosse vite. Et puis ça m'a toujours intéressé d'enseigner, de renvoyer l'ascenseur social à des gamins qui en avaient besoin.» Le Capes de technologie en poche, il passe dix ans dans les quartiers Nord de Marseille avant de décrocher le graal, un poste dans un établissement haut de gamme, en plein quartier chic. «Une grosse désillusion, assure l'enseignant. Les parents qui te mettent la pression, qui te dévalorisent parce que tu fais de la techno…» Mais c'est surtout financièrement que ça coince : deux enfants à charge, un crédit sur le dos, difficile pour Nordine de s'en sortir dans un quartier aisé avec ses 2 150 euros par mois.
«Quand Sarkozy a défiscalisé les heures supplémentaires, ça allait un peu mieux, confie-t-il. Mais quand ils les ont supprimées, c'est devenu trop compliqué.» En technologie, faute d'agrégation, les pistes d'évolution financière sont minces. L'enseignant tente même l'expatriation, mieux rémunérée, passe une année en Espagne, mais n'arrive pas à décrocher de poste pérenne. «Ça a été la goutte d'eau, raconte-t-il. En plus, les réformes à venir vont encore allonger notre temps de présence dans l'établissement, sachant que notre charge de travail a au moins doublé ces dix dernières années. On nous parle de sécurité de l'emploi dans le fonctionnariat, mais quand les règles du jeu changent au fur et à mesure…» Pour tester la viabilité de sa nouvelle entreprise, Nordine peut prolonger l'entre-deux de la disponibilité jusqu'à six ans, après quoi il devra choisir entre la démission ou la réintégration. «Je bosse du lundi au vendredi, de 8 heures à 19 heures et je suis mille fois moins fatigué que quand je faisais mes 18 heures ! Quand j'entends les gens critiquer les profs, ça me fait bien marrer, souligne le désormais chef d'entreprise. Les gamins me manquent parfois, mais je ne pourrais plus revenir et faire des choses auxquelles je ne crois plus.»