Ce que ses trois juges n'ont pas voulu entendre, l'ancien président de la République est allé le dire directement aux Français, ce jeudi soir au 20 heures de TF1. Sans rien cacher de son émotion, ni de sa fatigue, c'est un Sarkozy visiblement marqué par l'épreuve de sa garde à vue, sonné par sa triple mise en examen (pour «corruption passive», «recel de fonds publics libyens» et «financement illégal de campagne électorale») qui a répondu pendant vingt-cinq minutes aux questions d'un Gilles Bouleau sans complaisance.
Comme il l'avait déjà fait dans le même studio face au même journaliste – flanqué à l'époque d'un Jean-Pierre Elkabbach très bienveillant – au lendemain de sa garde à vue du 2 juillet 2014, l'ex-président a commencé par jurer aux Français qu'il n'avait «jamais trahi leur confiance». «Je veux que chacun comprenne que je suis blessé au plus profond de moi-même, pas pour moi mais pour notre pays, pour la fonction que j'ai exercé», dira-t-il encore. Tout au long de cet entretien, il s'étonnera plusieurs fois, tremblant d'indignation, que l'on mette sur le même plan la parole d'un ancien chef de l'Etat et celle de «la bande d'assassins, d'escrocs, de menteurs, de manipulateurs» qui portent contre lui, et à travers lui contre le pays, des accusations «monstrueuses».
Accusations «monstrueuses»
Tout en répétant qu'il n'était «pas à plaindre» et que l'affaire dépassait sa personne, il n'a pas manqué, comme il l'avait déjà fait en 2014, de s'étonner d'un traitement que la justice lui a réservé : «qu'est-ce qui pouvait bien justifier la garde à vue ?», s'est-il étonné, rappelant qu'il aura eu droit, toutes affaires confondues, à plus de «150 heures» de garde à vue depuis qu'il a quitté l'Elysée. Cette fois, pourtant, il s'est bien gardé de mettre explicitement en cause ses juges. «Pensez-vous les trois magistrats qui vous ont mis en examen veulent se payer Sarkozy pour régler des comptes politiques ?» A cette question de Bouleau, Sarkozy a répondu qu'il n'était pas là pour «attaquer qui que ce soit». Mais il pose en retour sa question à lui, celle qu'il aura martelée tout au long de cet entretien : «comment se fait-il, alors qu'il n'y a pas la moindre preuve, que l'on mette un ancien président au même niveau qu'une bande d'assassins ?»
A entendre Sarkozy, les trois juges se seraient laissés abuser par cette «bande» dont Mediapart et son directeur Edwy Plenel se seraient fait le bras armé, alimenté par Ziad Takieddine, ce «malfaiteur» qu'il soutient n'avoir pas croisé depuis 2004. Sur le plateau de TF1, l'ancien chef de l'Etat s'est efforcé de démontrer l'incohérence et les invraisemblances des révélations de l'homme d'affaires franco-libanais qui a servi d'intermédiaire entre la présidence française et la dictature libyenne. A l'origine de la machination dont il se dit victime, Sarkozy soutien qu'il n'y a rien d'autre que sa décision politique de reconnaître officiellement, le 10 mars 2011, la légitimité de l'opposition libyenne au régime Kadhafi. On lui ferait aussi payer d'avoir, ensuite, «conduit la coalition internationale contre un régime qui avait promis de faire couler des rivières de sang sur Benghazi».
Un message à Guéant et Hortefeux
«Je pourfendrai cette bande, je ferai triompher mon honneur», même si cela doit prendre «un an, cinq ans, dix ans», a-t-il conclu, tremblant de colère. Mais il a gardé pour la fin, une précision qu'il tenait manifestement à apporter. A plusieurs reprises, alors qu'il martelait qu'il n'y aurait contre lui «pas le plus petit commencement de preuve», Bouleau a fait remarquer qu'il serait difficile d'en dire autant de certains de ses émissaires en Libye, comme Claude Guéant ou Brice Hortefeux, amis de Takieddine. L'enquête n'a-t-elle pas mis en lumière plusieurs opérations suspectes sur le compte de Claude Guéant, son très fidèle bras droit ?
«Collaborateur infatigable, il a droit comme les autres à la présomption d'innocence», a répondu Sarkozy. «Il s'expliquera en tant que Claude Guéant lui-même» et non pas en tant qu'ancien collaborateur, a-t-il ajouté. Quant à Brice, son «ami depuis tant d'années» qu'il «aime tendrement», l'ancien chef de l'Etat a indiqué qu'il aurait à s'expliquer lui aussi, de son côté, sur «les rapports qu'il a pu avoir avec tel ou tel». «Mais je ne peux pas être moi-même accusé au titre des liens que j'ai avec tel ou tel et de ce qu'aurait pu faire tel ou tel», a conclu Sarkozy, pointant ainsi les limites de sa solidarité avec ses anciens collaborateurs. Il y avait à l'évidence, dans ces derniers mots, un message lourd de menaces, adressé à Guéant et Hortefeux, deux très proches avec lesquels Sarkozy n'a plus le droit de parler, en vertu du contrôle judiciaire qui lui a été imposé.