«Je vous conseille de commencer à boire votre urine avant d’être totalement déshydraté.» Assise sur son sac de randonnée, Eléonore Corroy, longs cheveux blonds contenus sous un bonnet, épais manteau à capuche sur les épaules poursuit : «Quand cela m’est arrivé, je n’avais plus d’eau et j’ai trop attendu. J’étais tellement assoiffée que j’avais les reins abîmés. J’ai uriné du sang et ai dû boire ce liquide toxique.» Nous sommes au milieu du «topo eau», au premier jour du stage de survie organisé par l’entreprise Time on target, enfoncés dans une forêt à 30 kilomètres de Dijon. La jeune femme, infirmière de formation, est professeure de survie. Autour d’elle, cinq hommes, les pieds sur la terre gelée, écoutent avec attention ses paroles. «Quoi qu’il en soit, l’urine ne reste stérile que pendant 15 minutes, reprend Eléonore Corroy. Le mieux est donc d’anticiper en plaçant par exemple des sacs plastiques sur des feuilles d’arbres pour récupérer l’eau de la rosée et de l’évaporation.» Adrien, Francisco, Cédric, Sébastien et Alex hochent la tête, enregistrent. Ils ont décidé de passer les prochaines 24 heures à apprendre les techniques pour sauver leur peau dans les situations extrêmes.
Survie dans la nature, en milieu urbain, bushcraft (l'art de vivre dans les bois), autonomie sur plusieurs jours, les stages de ce type se sont multipliés en France en quelques années. D'après Damien Lecouvey, ancien militaire, président de Time on target et spécialiste des expéditions polaires, «l'influence des émissions de télévision d'aventure extrême comme Koh-Lanta sur TF1 et The Island sur M6 a beaucoup joué dans l'intérêt du grand public pour ces sujets. On remplit facilement tous nos stages maintenant». Marc Mouret, un des quatre formateurs de la structure, renchérit : «On aimerait obtenir un statut officiel pour les guides spécialisés dans la survie, sur le modèle des guides de haute montagne qui se sont organisés en association.» Ce week-end, ils seront au premier salon du survivalisme organisé en France, à Paris, mais ils ne s'identifient pas à cette dénomination. «Nous ne sommes pas survivalistes, affirme Damien Lecouvey. Il ne s'agit pas de se préparer à la fin du monde mais d'envisager des situations de détresse dans lesquelles il faut sortir vivant.» Il assure que leurs stages n'attirent pas de tenants du survivalisme.
«On peut s’en sortir dans beaucoup de situations périlleuses»
Adrien, militaire à la longue barbe rousse, explique pourquoi il s'est inscrit : «Cela permet de tester ses limites, et de se rendre compte qu'avec peu de matériel, on peut s'en sortir dans beaucoup de situations périlleuses.» Les conditions dans lesquelles se déroule le stage sont parfaites pour «tester ses limites» : -6°C prévus pour la nuit, de la neige qui a humidifié le bois et l'hiver qui laisse peu de végétaux comestibles à cueillir.
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Armés d’une carte et d’une boussole, le groupe se met en marche pour trouver un coin où installer le bivouac. Débute alors l’initiation au feu sans briquet. Quelques brindilles sèches posées sur une pierre et des copeaux de bois taillés au couteau permettent de démarrer, après de nombreuses tentatives, de petites flammes, à l’aide d’un «firesteel», une barre de ferrocérium produisant une gerbe d’étincelle lorsqu’il est gratté. Il devient finalement grand feu autour duquel se presse le groupe pour engloutir les rations de survie. La nuit passée sous des bâches tendues entre des arbres et dans des duvets inadaptés aux températures négatives sera ardue.
«Ça fait monter l’adrénaline»
Au petit matin, réveil au lever du soleil avec des températures polaires. «Je n'ai pas réussi à dormir, confie Cédric, pompier de métier et passionné d'arts martiaux. Avec le froid et l'inconfort du duvet sarcophage, je n'ai fait que me retourner toute la nuit.» Alex, 33 ans, a tenté le bivouac sans duvet, au coin du feu. «Vers 4 heures du matin, le froid était trop vif, je me suis rabattu sur mon sac de couchage», raconte le concepteur de jeu de société, en sautant sur place pour se réchauffer. Deux barres de céréales et un café trop fort avalés, le groupe part pour la prochaine activité. Arrêt des troupes sur un chemin doucement éclairé par la lumière hivernale.
Un nœud «demi-cabestan avec demi-clé de pêcheur double», un «jambe de chien» et un «nœud d'arrêt gansé» plus tard, une corde est tendue trois mètres au-dessus du sol. C'est l'épreuve de franchissement : il faut imaginer un torrent glacé entre les deux arbres. Une veste aux couleurs de treillis militaire sur le dos, Francisco, agriculteur qui a démarré son exploitation en bio il y a deux ans, se lance. Traction pour se hisser sur la corde, cochon pendu renversé, pied qui crochète le fil. «Pousse avec la jambe arrière», lance Damien. Après quelques minutes à ramper sur la corde au-dessus du vide, le trentenaire au crâne rasé parvient de l'autre côté et se laisse tomber au sol. «C'est plus simple que ce que je pensais, lâche-t-il avec le sourire. Mais tu tiens quand même sur un boudin qui fait la taille de mon index. Ça fait monter l'adrénaline.»
«Il faut que votre vie soit en danger pour que cela sorte de l’illégalité»
L'atelier suivant est plus terre à terre. Les formateurs montrent comment fabriquer un piège à lapins. «Je m'en suis servi en Amazonie pour pêcher des poissons», précise Marc Mouret, spécialiste de la survie en jungle. Deux bouts de bois plantés dans la terre tiennent une cordelette qui forme un cercle et est accrochée à une branche de noisetier tendue à l'extrême. Si un animal passe sa patte dans le cercle, la corde se déclenche et l'envoie se pendre à l'arbre à proximité. Cela paraît simple mais «il faut trois jours en moyenne pour avoir une prise, précise Eléonore. Le plus rapide est de se nourrir de végétaux comestibles, comme les orties qui possèdent l'équivalent de 70% des protéines d'un steak». De toute façon, interdiction d'installer de tels pièges en France car cela s'apparente à du braconnage. «Il faut que votre vie soit en danger pour que cela sorte de l'illégalité», ajoute la formatrice.
Retour au parking où l’équipe débriefe les dernières 24 heures. Les stagiaires sont contents et promettent de recommencer, peut-être de passer au niveau 2, c’est-à-dire sans matériel autre qu’un couteau et une tasse en métal. Francisco rêve d’une expédition à l’étranger, Adrien veut se perfectionner et «peut-être devenir professeur de survie à terme». Marc lance un dernier conseil pour la route : «Ne faites jamais confiance à la chance ou à votre ego. Une situation peut rapidement très mal tourner.» Sa dernière expédition, à 6 500 mètres d’altitude dans les montagnes chiliennes, s’est soldée par un guide local en hypothermie et un autre qui a perdu un œil.