Les archives sont aussi formelles que cruelles. Quelques jours après l'attentat de Nice, en juillet 2016, Manuel Valls s'était payé la droite dans les grandes largeurs à l'Assemblée nationale, réfutant sa surenchère de propositions pour lutter contre le terrorisme. De l'interdiction du salafisme, dégainée par Nathalie Kosciusko-Morizet, à l'enfermement des personnes surveillées par les services de renseignement au titre d'une fiche S réclamé par Laurent Wauquiez. «La France dont je suis le chef du gouvernement ne sera pas celle où seront instaurés des centres où on enferme de manière indéterminée pour un temps indéterminé des individus qu'on suspecte. […] S'il y a une chose qui nous sépare de manière totale, irrémédiable, […] c'est cette différence de conception de la démocratie et de la République», avait riposté le Premier ministre Valls, s'attirant une rare standing-ovation de la gauche.
Porté par un solide plan média (BFM TV, Midi libre, France Télévisions puis France Culture en moins de douze heures), le virage à 180 degrés de l'ex-ministre de l'Intérieur est spectaculaire, qui prône aujourd'hui ce qu'il dégommait hier. Celui qui aimait à se présenter comme un homme d'Etat responsable dans chacun de ses discours pendant le quinquennat savoure visiblement le confort d'une position de parlementaire qui peut désormais parler sans craindre qu'on l'interroge sur la faisabilité de ses propositions. La rétention administrative des fichés S ? «On peut regarder les choses», dit le Valls d'aujourd'hui, visant «ceux dont on pense qu'ils représentent un danger» sans plus de précision. Comme un éclair de lucidité, il reconnaît que «s'il n'y a pas de passage à l'acte, il est difficile de prendre des mesures en termes de droit». De là à réclamer une modification de la Constitution, il n'y a qu'un pas… Avec l'interdiction du salafisme, Valls franchit un autre cap, reprenant une idée de droite défendue aussi par le journaliste Mohamed Sifaoui, qui faisait partie des invités d'office de ses meetings de la primaire 2017. Et peu importe si son ami Malek Boutih jugeait cette idée idiote dès 2015 : «C'est comme interdire le communisme, cela n'a aucun sens.»
Passé les bons points économiques et sociaux distribués au fil de l'automne, Manuel Valls critique en creux l'absence de discours d'Emmanuel Macron sur la laïcité, réclamant «un acte fort, politique, à caractère symbolique» contre «l'islam politique». Entre les deux hommes, c'est le retour du «terreau», cette polémique née juste après les attentats de Paris en novembre 2015, quand le ministre de l'Economie de l'époque estimait que la France avait «une part de responsabilité» dans les événements, n'ayant pas assez pris en compte la dérive sociale des banlieues. «On ne combat pas le terrorisme islamiste grâce à l'économie ou grâce à la baisse du chômage», a répété Valls lundi, qui s'est fixé une mission : déssiller Macron et faire entrer le «combat culturel» dans l'arsenal présidentiel.