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Libération
Éditorial

Douteux

publié le 26 mars 2018 à 20h56

Avec un sens très limité de l’union nationale, la droite et l’extrême droite tentent de mettre à profit l’émotion suscitée par l’attentat de vendredi pour marquer des points politiques. Guerre contre le terrorisme ou contre Macron ? Ou, plus largement, contre ceux qui invoquent l’Etat de droit ? On hésite. Frédéric Péchenard, ex-directeur de la police nationale, sarkozyste bon teint, a dit ce qu’il en pensait : des mesures inopportunes et inapplicables. Prenons l’internement administratif d’une partie des fichés S. Deux indices : les responsables de la police ne le demandent pas ; aucune démocratie dans le monde, même les plus raides, ne l’a mis en pratique, hormis l’expérience de Guantánamo, qui s’appliquait à des étrangers, en dehors du territoire national, et qui a laissé un souvenir pour le moins mitigé. Pour en décider, il faut changer la Constitution, c’est-à-dire instaurer et sacraliser le droit, pour l’Etat, d’emprisonner des suspects sans jugement, puisque le fichage, instrument de surveillance policière, n’a aucune valeur juridique incriminante. Il y a environ 20 000 fichés S en France. La majorité d’entre eux sont soupçonnés de liens plus ou moins directs avec le terrorisme islamiste. Mais il en est d’autres qui le sont pour activisme d’extrême droite ou bien zadisme radical. On arrête tout le monde ? On se limite aux islamistes (ou supposés tels) ? Dans la seconde hypothèse, comment expliquer qu’il ne s’agit pas d’une mesure discriminatoire ? On voudrait renforcer le communautarisme qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Enfermer les suspects pour prévenir le crime… Mais combien de temps ? Au bout d’un moment, on relâchera des gens ulcérés, mis à l’ombre sur de simples soupçons, en contradiction avec tous les principes démocratiques. Joli thème de propagande pour les islamistes… Quant à les garder plus longtemps, autant rétablir les lettres de cachet dont usaient les rois pour mettre à l’écart les gens qui leur déplaisaient. Belle manière de défendre les valeurs constitutives de nos sociétés ouvertes. Pour un bénéfice concret hautement douteux, on organiserait une reddition politique et morale. Il arrive un moment où le discours de la fermeté devient simple démagogie.