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Libération
Récit

Entre foi et patriotisme, Macron sur le fil

La toile de fond chrétienne du sacrifice d’Arnaud Beltrame, revendiquée par ses proches, place l’Elysée dans une position de funambule : exalter des valeurs républicaines entremêlées avec des convictions religieuses.
Emmanuel Macron, le 8 mars. (Photo Christian Hartmann. AFP)
publié le 27 mars 2018 à 20h26

Devant le cercueil du lieutenant-colonel Beltrame, Emmanuel Macron prononcera sans doute, ce mercredi dans la cour des Invalides, l'un des discours les plus écoutés de son quinquennat. Le premier en réponse à une attaque terroriste. «Il exaltera le héros républicain, celui qui transcende les horizons français» confiait mardi l'un de ses proches. Avec Sylvain Fort, son «conseiller discours et mémoire», le chef de l'Etat travaillait à une allocution «simple et courte, à l'adresse de tous les Français».

L'exercice n'est pas sans risque pour Macron, même si personne ne doute de sa capacité à assumer une gravité et une solennité qu'impose la circonstance. Car le geste du gendarme Beltrame, héros républicain, est aussi, et même surtout selon sa famille, celui d'un chrétien prêt à donner sa vie pour son prochain. «On ne peut comprendre son sacrifice si on le sépare de sa foi personnelle», confiait ce matin à l'hebdomadaire la Vie son épouse, Marielle Beltrame. Les proches de l'officier témoignent tous d'un intense engagement religieux. En pleine semaine sainte, beaucoup comparent son martyre à celui du franciscain polonais Maximilien Kolbe, canonisé par Jean Paul II, mort à Auschwitz après avoir pris la place d'un père de famille.

Le chef de l’Etat pourra difficilement passer sous silence cette dimension chez un homme qui est devenu à 33 ans un fervent pratiquant, sans pour autant mettre en cause le caractère strictement républicain de la cérémonie. L’orateur des Invalides se sait sous une double surveillance : celle des zélateurs des «racines chrétiennes» d’une part et, d’autre part, celle des gardiens du temple laïc. Ces derniers auront noté avec satisfaction qu’avant de traverser Paris sous escorte de motards de la Garde républicaine pour rejoindre la cour des Invalides, le cortège funéraire stationnera ce mercredi matin à 10 heures devant le Panthéon, nécropole laïque des «grands hommes» français.

Pour Henri Guaino, ancienne «plume» de Nicolas Sarkozy, le Président ne doit surtout pas «faire l'impasse» sur la foi de cet officier. Avec «Charles Péguy ou le maréchal Lyautey», la République n'a-t-elle pas démontré qu'elle savait honorer «ces hommes guidés par l'amour du prochain et l'amour de la patrie» ? Guaino fait observer que si l'officier qui a sauvé la vie de l'otage du terroriste avait été musulman, «on aurait certainement trouvé les mots pour en parler». Les mots de Macron seront soigneusement choisis. Et sans doute sera-t-il tenté de rappeler, comme certains de ses conseillers, interrogés mardi par Libération, que l'officier catholique était aussi, depuis 2008, un initié de la Grande Loge de France…

A la veille de l’hommage national, l’Assemblée montrait mardi le visage d’une classe politique relativement soudée dans l’hommage unanime au gendarme Beltrame. A l’exception du LR Christian Jacob, accusant le gouvernement de ne pas en faire assez contre le terrorisme, les six présidents de groupes ont été, très exceptionnellement, applaudis sur tous les bancs.

«Un gendarme» et «un chrétien»

Arnaud Beltrame était en poste à Carcassonne depuis moins d'un an, après sa nomination, comme officier adjoint au commandant du groupement de gendarmerie de l'Aude. Quelques années auparavant, il avait effectué un passage auprès du service de la sécurité du palais de l'Elysée au sein de la Garde républicaine. Référent en matière d'intelligence économique, il s'était également mis au service du ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie en qualité de conseiller du secrétaire général. Arnaud Beltrame s'était déjà distingué lors de la guerre d'Irak en 2005. La direction générale de la gendarmerie nationale a indiqué qu'avant son acte héroïque de Trèbes, il avait déjà conduit, «au péril de sa vie, une mission complexe de récupération d'un ressortissant français menacé par un groupe terroriste». Selon les informations publiées dans l'Obs, le lieutenant-colonel avait alors sauvé une humanitaire française menacée d'enlèvement par les groupes terroristes le 7 septembre 2005 à Bagdad. «Arnaud était profondément attaché à ce qu'il appelait la «famille gendarmerie» […] Mais on ne peut [pas] comprendre son sacrifice si on le sépare de sa foi personnelle, témoigne, dans l'hebdo la Vie sa femme Marielle. C'est le geste d'un gendarme et le geste d'un chrétien. On ne peut pas séparer l'un de l'autre.» (Soizic Rousseau)