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Notre-Dame-des-Landes: Les champs des partisans

Notre-Dame-des-Landes, l'aéroport enterrédossier
Alors que la fin de la trêve hivernale ce week-end pourrait déclencher les expulsions, se pose la question de l’attribution des terres. Doivent-elles revenir en priorité à ceux qui en ont été expropriés ou à ceux qui les ont cultivées toutes ces années ?
Sur la D281, surnommée la «route des chicanes», jeudi. (Photos CYRIL ZANNETTACCI)
publié le 30 mars 2018 à 20h16

L’abandon du projet d’aéroport, annoncé le 17 janvier, n’a pas tout réglé : la «zone à défendre» (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes reste un terrain hautement inflammable. Avec d’un côté les 200 à 300 habitants illégaux sur ces terres au nord de Nantes, qui souhaitent être régularisés pour mener à bien leur projet de société alternative. Et de l’autre l’Etat, propriétaire de la plupart de ces 1 650 hectares de terres, qui pourrait, en principe, mettre à exécution sa menace d’expulsion dès dimanche, avec la fin de la trêve hivernale.

«Argent du beurre». La moitié de la zone est sous le coup de cette menace. Pas les paysans «historiques», expropriés mais bientôt réhabilités, ni les agriculteurs ou artisans bénéficiant d'une occupation temporaire jusqu'à novembre 2018. «Extrêmement inquiets», les zadistes se préparent à de possibles affrontements avec les gendarmes mobiles, dont la présence s'est renforcée depuis début février, officiellement pour «protéger» les travaux de rénovation de la départementale D 281, la «route des chicanes» sur laquelle les militants avaient installé des squats et des ralentisseurs. Mais les conflits montent aussi avec les paysans qui possédaient ou louaient des champs et veulent les récupérer. Après un silence de plusieurs années, ils dénoncent des intimidations violentes des zadistes sur leur canal favori, le site très à droite Breizh-info. «C'est une sorte de mafia qui se livre à l'expropriation», s'emporte ainsi l'un de ces paysans conventionnels, qui dénonce par ailleurs le manque de normes sanitaires sur les exploitations zadistes. Ou encore : «C'est dingue que d'autres agriculteurs viennent donner des leçons, c'est à s'en dégoûter du métier. Ce n'est pas la Gestapo, ce sont des agriculteurs qui débarquent dans ta ferme te donner des leçons et prendre tes terres ! Je n'accepte pas ça.» Les zadistes répliquent que ces paysans, déjà dédommagés dans le cadre des procédures d'expropriation, sont des «cumulards» : «Ils veulent le beurre et l'argent du beurre.»

La crise est aussi interne à la mouvance zadiste. Le 20 mars, l'un d'eux a été retrouvé souffrant de contusions et fractures multiples devant le centre hospitalier de Blain (lire page 4). Vraisemblablement passé à tabac par d'anciens camarades. Symptôme d'une collectivité politiquement déchirée ? «Non, c'est une affaire interne, que nous regrettons», répondent les porte-parole, qui mettent en garde : «Nous refusons le storytelling du gouvernement, qui essaie de séparer les "bons" et les "mauvais" zadistes.» Tout en admettant que «ça n'a jamais été aussi compliqué que maintenant».

Le stress est général, d'autant que la préfète de Loire-Atlantique, Nicole Klein, refuse de dire si des procédures d'expulsion seront lancées : «On n'annonce jamais avec force trompette des opérations qui sont très délicates.» La représentante de l'Etat, qui a mené de longues concertations - mais sans les zadistes -, rappelle en substance les propos du Premier ministre, Edouard Philippe, le 17 janvier : «Pas d'aéroport, mais des expulsions» et «pas de nouveau Larzac».

Cette dernière option a pourtant les faveurs des zadistes, dont l’association «Pour un avenir commun dans le bocage», enregistrée le 17 mars, a pour ambition de racheter ou de louer les terres à l’Etat. En attendant, les occupants ont indiqué jeudi leur intention d’assigner la préfecture de la Loire-Atlantique devant le tribunal administratif de Nantes. Objectif : obliger l’Etat à dire s’il existe ou non des procédures d’expulsion les concernant. Dans cette optique, plusieurs référés devaient être déposés jeudi et vendredi.

Les zadistes sont soutenus par divers syndicats et associations, ainsi qu’un collectif de 25 avocats qui estime dans une lettre ouverte au gouvernement qu’une expulsion serait «illégale» (lire ci-contre).

«Base individuelle». Sébastien Lecornu, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Ecologie, était sur place le 21 mars, où quelques zadistes l'ont invité à «dégager». «Ces élucubrations ne m'impressionnent pas», a-t-il répondu, martelant que «la main de l'Etat ne tremblera pas». Selon lui, le droit s'appliquera sur les terres de Notre-Dame-des-Landes, «sur une base individuelle» ; il ne saurait donc être question de propriété collective. Dans son entourage, on précise toutefois que les agriculteurs pourront toujours, s'ils le souhaitent, «développer des projets collectifs dans un cadre légal». Pour Lecornu, la réouverture de l'ex-«route des chicanes» a marqué «le retour de l'Etat de droit».

Le gouvernement procédera-t-il dès ce dimanche à l'expulsion de ceux qu'il considère comme «des occupants illicites» ? «Nous ferons respecter le droit», répète Matignon, sans plus de précisions. Une source ministérielle laisse toutefois entendre qu'il n'y a pas urgence. La trêve pascale pourrait donc mettre la ZAD à l'abri, le temps d'un week-end.

Photos Cyril Zannettacci