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Libération
Interview

Raphaël Kempf : «En l’état, les habitants de la ZAD ne sont pas expulsables»

Notre-Dame-des-Landes, l'aéroport enterrédossier
Raphaël Kempf fait partie du collectif d’avocats pour qui l’expulsion des zadistes serait «illégale». Selon lui, une décision de justice est nécessaire.
La halle en construction de l’AmbaZADa, jeudi 29 mars. (Photo Cyril ZANNETTACCI)
publié le 30 mars 2018 à 20h16

Le 21 mars, vingt-cinq avocats des barreaux de Paris, Rouen et Nantes ont écrit au Premier ministre, Edouard Philippe, pour lui faire part de «l'illégalité d'une expulsion des habitants de la "ZAD" de Notre-Dame-des-Landes». L'un d'entre eux, Raphaël Kempf, détaille leur argumentaire juridique.

Pourquoi estimez-vous qu’une expulsion des zadistes serait «illégale, constitutive d’une voie de fait et d’un délit pénal» ?

En l'état des éléments du dossier que nous avons, aucune décision de justice n'a été communiquée aux habitants de la ZAD que nous représentons. Celle-ci n'est donc pas expulsable. Lorsqu'on est occupant sans droit d'occupation ni titre d'occupation, ce qui est le cas en l'espèce, on n'est malgré tout pas dépourvu de droits. C'est le cas pour n'importe quel squatteur, n'importe où. En l'absence d'une décision de justice rendue à l'issue d'un débat contradictoire, la loi protège le domicile des personnes et interdit à l'Etat et à sa police de les expulser. Nous demandons donc aux autorités de respecter les formes du droit et de nous indiquer sur quel fondement juridique elles entendent procéder à cette expulsion. Le Premier ministre, le ministre de l'Intérieur et la préfète de Loire-Atlantique se prévalent du rétablissement de ce qu'ils appellent l'Etat de droit et de l'«ordre républicain»,lequel n'est rien de plus qu'un slogan politique sans signification concrète, alors qu'ils ne sont pas capables de dire comment eux respectent le droit.

Avez-vous reçu une réponse ?

Non, mais nous l'attendons avec intérêt. S'il existait des ordonnances d'expulsion rendues «sur requête», c'est-à-dire au moyen d'une procédure non contradictoire et non publique, nous les contesterions et réclamerions un débat contradictoire devant le juge, ce qui est un droit fondamental. Par ailleurs, quand un juge prononce l'expulsion de quelqu'un de son domicile, des garanties lui sont offertes. La trêve hivernale, mais aussi un délai de deux mois entre le commandement d'avoir à quitter les lieux et l'expulsion effective. Si le Premier ministre dit qu'une expulsion aura lieu «après la fin de la trêve hivernale», c'est-à-dire après le 31 mars, c'est qu'il reconnaît implicitement que les lieux d'habitation constituent le domicile de ces personnes, sinon il n'aurait pas besoin de se prévaloir du respect de cette trêve. S'il considère que c'est leur domicile, il doit leur appliquer le délai de deux mois. Juridiquement, une expulsion au 1er avril est donc impossible, même s'il y avait eu des ordonnances sur requête. Une expulsion par la force à compter du 1er avril constituerait une voie de fait susceptible de recevoir aussi une qualification pénale.

A plus long terme, quelle solution juridique envisager pour ces terres ?

Les personnes que nous représentons, qui sont des néoruraux, ont l’intention de pouvoir continuer à vivre sur place. Une fois que la question de l’expulsabilité sera réglée, c’est-à-dire qu’on constatera qu’on ne pourra pas les expulser, elles seraient tout à fait prêtes à s’engager dans un processus de négociation pour trouver les formes juridiques innovantes permettant de clarifier et d’encadrer légalement l’occupation de ces terres et la construction à long terme de lieux de vie respectueux de la biodiversité de ce territoire.

José Bové affirme que «les outils juridiques utilisés sur le Larzac sont applicables à Notre-Dame». Etes-vous d’accord ?

Bien sûr. C’est une base de réflexion.

Que se passera-t-il pour les agriculteurs qui ont été expropriés ?

Cela fera l’objet de débats au cours des négociations. C’est assez simple, car ces agriculteurs ont un droit de rétrocession de leurs biens. Et toutes les autres parcelles entreront dans le patrimoine de l’Etat ou du département, donc aucun propriétaire privé n’aura de néoruraux sur ses terres.