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Libération
Enquête

Sur la piste du zadiste ligoté

Notre-Dame-des-Landes, l'aéroport enterrédossier
Il y a dix jours, un homme était retrouvé attaché et souffrant de fractures multiples devant l’hôpital de Blain. «Libération» a parcouru la ZAD pour comprendre ce qu’il s’est passé.
A la bibliothèque de Notre-Dame-des-Landes, le 19 janvier. (Photo Cyril Zannettacci)
publié le 30 mars 2018 à 21h06

Ce 20 mars, un zadiste est découvert blessé, pieds et poings liés, devant l'hôpital de Blain, à moins de 15 km de Notre-Dame-des-Landes. Il a été passé à tabac, vraisemblablement par ses pairs, selon la presse locale. Simple fait divers dont s'emparent les antizadistes pour mieux souligner la supposée violence de leurs adversaires ? Règlement de comptes politique, interne ou entres voisins ? A travers six lieux emblématiques de la ZAD, Libération a enquêté sur cette affaire qui révèle les nombreuses dissensions sur le site à l'approche de possibles expulsions par les gendarmes, après la fin de la trêve hivernale ce samedi à minuit.

1 La route des chicanes

Le danger pourrait provenir de la D 281 qui perce la ZAD du nord au sud. La «route des chicanes» avait été fermée par le conseil départemental puis rouverte par les zadistes en 2013, qui y avaient disposé des squats et symboles de lutte. Fin janvier, au terme de débats houleux, les militants ont accepté de retirer leurs installations. Les services départementaux ont ensuite entamé des travaux de réfection ou d’élagage. Mais un ou plusieurs zadistes ont creusé des trous dans le bitume pendant la nuit.

Depuis, les gendarmes montent la garde. Ils contrôlent les papiers, interdisent le transport de bouteilles de gaz ou de matériel de chantier. Le passage à tabac du 20 mars ? Ils sont au courant - ils savent tout sur tout le monde, multiplient les survols de drones et d’hélicos, possèdent manifestement leurs indics… Mais ils affirment ne pas connaître les détails de la bagarre, faute d’un dépôt de plainte. Jeudi, on les a vus scruter la départementale à la jumelle tandis que des zadistes jetaient trois pneus pour freiner les chauffards. Ce jeu du chat et de la souris pourrait dégénérer après ce samedi.

2 Conflits entre paysans à Treillières

Descentes de zadistes en cagoules et munis de barres de fer, intimidations multiples et variées… Des agriculteurs traditionnels commencent à se lâcher dans la presse locale et les sites d'ultradroite, dénonçant les agissements des agriculteurs alternatifs : «C'est une pression continue. Il y en a qui sont venus dans des fermes armés de battes. C'est une sorte de mafia qui se livre à l'expropriation.»

Ces exploitants conventionnels exigent de récupérer les terres qu'ils possédaient à l'intérieur de la ZAD et qui sont maintenant squattées. Et ce alors même qu'ils ont été indemnisés - contrairement à d'autres paysans-militants «historiques», qui ont été expropriés mais ont choisi de rester dans leur ferme, sans toucher de compensation. Les «tradis» sont représentés par Mickaël Mary, 38 ans, producteur de lait dans la commune voisine de Treillières. «Il y a deux poids deux mesures», dénonce cet ancien élu aux Jeunes Agriculteurs (FNSEA). Les zadistes contestent les accusations de menaces portées par ses collègues. A quand remonteraient d'ailleurs les conflits les plus durs ? Avant le 20 mars, d'après les témoignages des «tradis». Fausse piste. Il faut chercher ailleurs les raisons, les témoins ou participants à la sévère agression d'un homme sur la ZAD.

3 Incendie à La Freusière

Nouvel indice. On apprend qu'une ferme a pris feu à la même date que le zadiste a été roué de coups. Le sinistre s'est déclaré au lieu-dit La Freusière, dans une parcelle à l'écart. Selon des sources internes, c'est l'homme vivant sur place qui aurait fait le coup. Un solitaire. «Regrettable quand on pense que certains ont du mal à se loger», dit une jeune femme. La toiture et le plancher à l'étage sont détruits. Il y avait quatre chambres et une salle de sport ouverte à tous. De précédents locataires envisagent d'en «refaire un lieu de vie». «Ici, on construit sans cesse.» Pas question de laisser le dernier mot au pyromane présumé. Le geste ne serait pas directement motivé par la menace des expulsions - la ZAD a déjà subi par le passé des incendies de squats commis par leurs occupants qui souhaitaient partir. L'homme soupçonné aurait disparu aussitôt après le 20 mars. Ce ne serait donc pas lui qu'on a retrouvé ligoté à Blain.

4 Rumeurs à La Pâquelais

Une autre hypothèse : et si le tabassage était une querelle de voisinage ? Par exemple à La Pâquelais, à l'extrémité sud de la «route des chicanes» ? Dans ce hameau rattaché à Vigneux-de-Bretagne, la majorité de la population était hostile au projet d'aéroport sans pour autant approuver les expérimentations sociales et écolos de la ZAD. Une rumeur parmi d'autres : «Ces sauvages de zadistes» feraient leurs courses gratis en terrorisant les caissières des environs. Aucun commerçant ne confirme. Les riverains peinent à citer un exemple précis d'altercation. Au contraire, des liens inattendus se nouent. En l'absence d'une boulangerie dans cette partie du village, plusieurs résidents de La Pâquelais, vont désormais chercher leur pain chez les zadistes.

5 Tensions sous contrôle à la Grée

Direction la ferme-squat où on se castagne souvent. «Pour s'amuser. Parce qu'on a trop bu. Ou trop pris de substances.» L'ancienne ferme de la Grée accueille celles et ceux qui «ont besoin de remonter la pente» : SDF, malades d'addictions, exclus de tout ordre. Une cible idéale pour une expulsion imminente ? «Il n'est pas question de toucher à cet endroit qui fait le travail que l'Etat est incapable d'accomplir», met en garde un zadiste qui vit dans une cabane à proximité. «Ici, c'est dur, mais ça tient. On se respecte.» Le matériel du ZAD Social Rap, entreposé à l'étage du squat, n'a jamais été dégradé. Les bagarres se terminent bien. Et personne ici n'a eu les os cassés le 20 mars.

6 L’AmbaZADa, lieu d’apaisement

Il a fallu beaucoup de temps pour collecter de faibles indices. Par recoupements, il apparaît que l'homme retrouvé devant le centre hospitalier de Blain a bien fait les frais du contexte survolté à l'approche de possibles expulsions. C'est lui qui aurait commis des dégradations sur la «route des chicanes», précipitant l'arrivée des gendarmes. Identifié par ses pairs, il était en attente d'une décision des médiateurs internes chargés d'arbitrer les litiges de la ZAD - après épuisement des négociations, les sanctions ordinaires peuvent consister en un bannissement temporaire ou permanent. Mais les médiateurs ont tardé à statuer et certains zadistes se sont défoulés sur le creuseur de trous. Position officielle de la ZAD : «Il s'agit d'une affaire interne, que nous ne commentons pas. Nous déplorons la violence physique comme recours. Ce n'est pas l'idée que l'on se fait de la justice.»

Selon une info policière que nous n'avons pu confirmer, l'homme molesté serait revenu vivre dans la zone à défendre après son séjour à l'hôpital. Pour assister aux développements d'un climat «oppressant» qu'il aurait contribué à aggraver. Malgré l'affaire, la ZAD se veut unie. «Et plus que jamais !» assuraient jeudi soir les participants au chantier de l'AmbaZADa, une superbe halle en bois et torchis qui doit abriter des militants venus d'ailleurs. Inauguration prévue fin 2019.