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Libération
Reportage

ZAD de Strasbourg: «La convergence des luttes, c'est la clé»

Samedi les zadistes opposés au projet du contournement ouest de Strasbourg ont accueilli les bonnes volontés venues leur prêter main-forte.
Daniel, zadiste, construit une plate forme en hauteur dans la Zad anti-GCO du Moulin dans la forêt de Kolbsheim. (Photo Pascal Bastien pour Libération)
publié le 1er avril 2018 à 10h25

Effervescence sur la ZAD du Moulin samedi. Jour de chantier. Les bonnes volontés convergent pour prêter main-forte aux zadistes installés depuis l'été dernier sur le tracé du grand contournement ouest de Strasbourg. La construction par Vinci de ce tronçon autoroutier de 24 km doit débuter en août. Les zadistes ont déjà gagné huit mois, en empêchant sur le terrain les travaux préparatoires et en multipliant les recours juridiques.

Des voisins viennent en famille. Ils ont fait des gâteaux. Des étudiants ont apporté des bûches. Un zadiste de Bure est venu avec des vêtements chauds. Sur le chemin, on charrie matelas, sommiers, planches. «Cela manque un peu d'organisation», reconnaît Bruno Dalpra du collectif GCO Non Merci, qui fédère les opposants. Un tableau accroché sur la cabane principale liste simplement les tâches à faire. Bruno se dit qu'il faudrait peut-être des ateliers, des roulements, anticiper l'arrivée des matériaux et outils. Mais tout ça sans rien imposer, sans chef… Du coup, ça avance au petit bonheur la chance.

Envie d’âne

Claire, qui vit ici à plein temps, aimerait bien avoir un âne, pour l'aider à traîner les palettes en haut de la colline. Là-bas, c'est «le verger», que l'on gagne en se faufilant sous les arbres par un petit sentier boueux. Plusieurs cabanes sont en construction. La vue sur la plaine est à couper le souffle. La lumière dorée de la fin d'après-midi fait scintiller la forêt en contrebas. Au loin, les Vosges. Un paysage à creuser et goudronner, donc. Des chaises en plastique ont été apportées. Le lendemain, la pasteure du village, Caroline, célèbre ici une aube pascale aux premières lueurs. Il s'agit de «partager l'espérance», l'espérance que le GCO ne verra jamais le jour, entre autres. Les paroissiens du coin sont au taquet. Cet hiver, ils ont organisé une fête de Noël dans la grange avec les zadistes et leur donnent accès à leur salle pour se mettre au chaud et au sec, se connecter à Internet.

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Caroline est venue avec ses deux filles. Elles aimeraient bien caresser les poussins et les lapins. Celle qui prêche le respect de la nature dans son église et sonne le tocsin quand elle aperçoit les machines de Vinci pour donner l’alerte, a apporté des œufs en chocolat. Un zadiste hésite à se servir. Il explique que les bondieuseries, c’est pas son truc. La pasteure se marre. En même temps, ça peut aider, pensent d’autres. Construire une chapelle sur le tracé arrêterait sans doute les bulldozers. On ne détruit pas la maison de Dieu comme ça.

«Le mercredi c’est Vinci»

Etudiant, Julien dort ici les mardis. «Parce que le mercredi, c'est Vinci.» C'est souvent ce jour-là que les engins, escortés par la gendarmerie, approchent de la ZAD pour forer ou déforester. Alors il faut sortir des cabanes au petit matin et leur barrer le chemin. La nuit, une société privée de sécurité veille sur les machines. Les zadistes y vont systématiquement, pour que leurs visites fassent l'objet d'un rapport, histoire de maintenir la pression. «L'autre soir, le gardien ne savait pas qu'il y avait une ZAD en dessous, on lui a proposé de passer boire un verre après», raconte Julien qui se mobilise aussi sur le campus de Strasbourg contre la réforme de l'accès à l'université. Il a constitué un groupe d'étudiants contre le GCO et voudrait inviter des zadistes à une AG, dans l'amphi occupé depuis une semaine. «La convergence des luttes, c'est la clé», Bruno en est convaincu. Il l'a vu à Notre-Dame-des-Landes, où il est allé «douze fois». «Les zadistes manifestaient contre la loi travail et les cégétistes venaient donner un coup de main sur la ZAD».

Un geai chante. «Il pourrait être l'emblème du zadiste, l'oiseau crie dès qu'on entre dans la forêt, explique Martin. Il n'y a pas que le grand hamster à défendre, mais toute la biodiversité ordinaire.» Martin parle avec beaucoup de douceur. Il y a ce grand chêne, tout près, qu'ils n'ont pas réussi à sauver. «Aimer la nature c'est souffrir», dit-il. Mais vivre ici, c'est aussi «stimulant», «ça brasse». Il ne pensait pas rencontrer «autant de gens différents : politiques, experts, avocats, gendarmes, cadres de Vinci, agriculteurs, châtelains, journalistes… Même José Bové a dormi sur place en juillet. Et vendredi, c'est Brigitte Bardot qui s'est ralliée. Elle a pris sa plume pour écrire à Hulot, pas encore son sac de couchage.