Il y a quelques mois, alors que l'onde de choc de l'affaire Weinstein atteignait tous les secteurs de la société, Laura Flessel, ministre des Sports, affirmait que si l'on ne parlait pas de harcèlement sexuel dans son secteur, ce n'était pas en raison d'une omerta mais parce que les stades, les vestiaires ou les piscines étaient épargnés. Elle seule pouvait faire semblant d'y croire. Mais à part des rumeurs et des témoignages sous le sceau de l'anonymat de la part d'athlètes refusant de mettre leur carrière en péril, aucune affaire concrète pour contredire la ministre. Jusqu'à ce que, ce week-end, le Monde révèle deux affaires dans l'athlétisme français. Le faiseur de champions hurdleurs (spécialistes de la course de haies) Giscard Samba est accusé de viol par l'une de ses ex-athlètes, et Pascal Machat, entraîneur national, est accusé d'agressions sexuelles par une autre sportive. Tous deux sont visés par une enquête. La Fédération française d'athlétisme a annoncé son intention de se porter partie civile dans les deux affaires.
Pour Guy Missoum (1), psychologue clinicien, enseignant-chercheur à l’université Paris-Nanterre et ancien directeur du laboratoire de psychologie du sport de l’Institut national du sport de l’expertise et de la performance (Insep), le sport est un terrain propice aux affaires de viols ou d’agressions sexuelles, mais où la parole a particulièrement du mal à se libérer.
Il a fallu attendre plusieurs mois pour que l’on évoque de telles affaires dans le sport en France. Pourquoi ?
Pour une raison simple : les sportives victimes de violences sexuelles ne veulent pas compromettre leurs chances de performances. Si elles parlent, leur carrière est finie. Elles font de tels sacrifices pour atteindre leurs objectifs qu’il est inenvisageable pour beaucoup d’entre elles de perdre le soutien de leur fédération. Sportive de haut niveau, on apprend à surpasser la douleur, physique ou psychologique. Une victime de violences sexuelles est capable de se concentrer sur son objectif sportif et de cloisonner sa vie pour ne pas compromettre ses performances. Une stratégie qui permet le refoulement de certains vécus traumatisants. Le contrôle mental de tout ce qui peut gêner la performance permet à l’athlète de supporter l’insupportable, y compris les violences sexuelles.
Les cas de violence sexuelle dans le sport ne vous étonnent donc pas?
Non. Mais il faut bien distinguer différents types de violences sexuelles. En quinze ans de carrière au laboratoire de psychologie de l’Insep, je n’ai pas entendu une seule histoire de viol ou de tentative de viol. Ça ne veut pas dire que ça n’existe pas, mais je suis convaincu que c’est un phénomène marginal. En revanche, le harcèlement sexuel, verbal et physique, est très répandu dans le monde sportif parce que ce milieu expose le corps de l’athlète et le dévoile. Les sportives sont constamment évaluées sur leur physique, leurs fesses, leurs seins, leurs formes en général. Elles sont souvent dénudées des jambes, des bras, voire du ventre et des cuisses, alors on se permet de faire des réflexions, pensant qu’elles assument leur «outil de travail». L’absence de pudeur et d’intimité de l’environnement sportif peut très vite entraîner des dérives.
Retrouve-t-on une volonté sous-jacente de pouvoir et de domination ?
La relation entraîneur-entraînée repose souvent sur une admiration totale pour l’entraîneur et une obéissance aveugle de la sportive. L’entraîneur est un mentor. C’est lui qui vous entraîne, vous fait progresser et, surtout, vous sélectionne pour les compétitions. La soumission à l’autorité est donc totalement acceptée et conscientisée par les sportives. Le phénomène d’emprise psychologique peut être très fort. Il est clair que ce duo dominée-dominant est un des facteurs de risque importants dans les violences sexuelles.
Quels sont les autres facteurs de risque ?
La proximité physique et psychologique. Dans l’univers sportif, il est évident qu’un entraîneur va avoir un contact corporel avec son athlète, pour simuler les bons gestes, l’aider à s’étirer, voir si elle sollicite les bons muscles… Cette proximité physique s’accompagne toujours d’une proximité psychologique. Les sportives accordent d’ailleurs plus d’importance aux aspects affectifs de la relation entraîneur-entraînée que les sportifs. Elles sont souvent seules, loin de leurs familles, en internat ou dans une chambre d’hôtel. Généralement, leur entraîneur et / ou le médecin sont les personnes avec qui elles passent le plus de temps quantitativement et qualitativement. Dans un environnement sportif sain, cette complicité ne se transforme jamais en promiscuité. Mais c’est un risque dès lors que l’entraîneur utilise cette proximité physique et psychologique pour maintenir une ambiguïté, voire exercer des violences sexuelles.
(1) Auteur de la Fierté d'être soi, éditions Leduc.s, 2017.