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Cécile Duflot arrête la vie politique, pas la vie publique

L’ex-ministre écologiste va prendre la tête de la branche française de l’ONG Oxfam. Elle explique vouloir s’«engager différemment».
A Paris, le 29 août 2014. (Photo Fred Kihn pour Libération)
publié le 5 avril 2018 à 20h56

Elle rêvait d'une «force politique avec un grand "P"». «[D'une] force culturelle, sociale et civique» qui ne soit «pas un nouveau parti, ni une addition d'étiquettes» afin de «mobiliser tous ceux qui disent "la politique ne nous intéresse pas" mais veulent changer de monde». C'était en mars 2015 dans Libération. Trois ans et deux rudes échecs plus tard - en 2017, elle est éliminée dès le premier tour de la primaire écolo puis des législatives à Paris -, Cécile Duflot a annoncé jeudi dans le Monde qu'elle va diriger la branche française de l'ONG Oxfam et quitte le monde des partis politiques. Pas vraiment celui de la politique.

«Cohérent». «J'ai jugé que le moment était venu de m'engager différemment, et d'ouvrir une nouvelle étape de ma vie, explique celle qui dirigea Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) de 2006 à 2012 avant de devenir ministre du Logement de François Hollande. Je vais continuer à agir, mais différemment. J'ai toujours dit que la vie politique ne pouvait pas être éternelle.» Après Pascal Canfin, ministre de 2012 à 2014 et aujourd'hui directeur général du WWF France, Cécile Duflot, 43 ans, est donc une personnalité écologiste supplémentaire à prendre la tête d'une ONG. «C'est une bonne nouvelle pour la démocratie», observe de loin l'eurodéputé et ex-avocat Pascal Durand, qui a succédé à Duflot à la tête d'EE-LV. «Avant, il y avait de vrais murs entre les engagements associatifs, syndicaux et politiques. Les écolos sont en train de démontrer qu'il y a des portes et des passerelles pour aller de l'un à l'autre», poursuit-il.

Le signe aussi que cette gauche, dévastée par le quinquennat Hollande et l’élection de Macron, a davantage l’impression de peser comme contre-pouvoir dans ce type d’organisation plutôt que dans des partis politiques minoritaires. Mêmes nouveaux.

S'éloignant d'EE-LV depuis 2017 - personne ne l'a vu mettre les pieds dans les conseils fédéraux d'une formation qu'elle a dirigée près de six ans -, Duflot avait ainsi accompagné le lancement du mouvement de Benoît Hamon, Génération·s, en participant notamment à son congrès fondateur. On parlait d'elle à la direction de ce nouveau parti, avec une place sur la liste aux élections européennes de 2019. «Aucune chance», répond-elle dans le Monde, de la voir en lice l'an prochain pour Strasbourg, et «pas davantage», assure-t-elle, pour l'Elysée en 2022. Mais on risque de continuer à l'entendre et de la voir mener des campagnes contre la politique d'Emmanuel Macron. Dans le Monde, comme ces derniers jours sur Twitter, elle ne se prive pas de critiquer, en «fille de cheminots, petite-fille de cheminots, arrière-petite-fille de cheminots», la réforme de la SNCF. Oxfam France, l'ONG qu'elle rejoint, s'était engagée à l'automne contre les mesures favorables aux plus riches dans le premier budget du quinquennat.

«Tout cela est cohérent avec son parcours en général», souligne le patron actuel d'EE-LV, David Cormand, prévenu - à la différence de Hamon - par Duflot de ce nouveau projet. «Depuis le début de sa vie d'adulte, Cécile a toujours eu le besoin de s'engager. Elle l'a fait chez les Verts. Elle le fait aujourd'hui dans le cadre d'une ONG qui recoupe les questions qu'elle a toujours portées : la défense de l'environnement mais aussi le combat contre les inégalités. C'est cohérent», ajoute celui dont Duflot, dans son interview, loue les qualités de dirigeant politique : «Un homme remarquable : honnête, vertébré, loyal et cohérent.» Militante dans ses années d'études à la Jeunesse ouvrière chrétienne et à la Ligue de protection des oiseaux, écrivaine publique à la prison de la Santé (Paris XIVe) avec le Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées, Duflot, urbaniste de profession, a adhéré aux Verts en 2003 pour en prendre la tête trois ans plus tard, à 31 ans.

Bilan. Avec Jean-Vincent Placé en numéro 2, elle accompagne la dynamique Europe-Ecologie dont le succès aux européennes de 2009 lui permet d'obtenir par la suite, pour la première fois, deux groupes parlementaires au Sénat puis à l'Assemblée nationale. Députée de Paris et ministre du Logement avec, à son crédit, l'encadrement des loyers et la loi Alur, elle a ensuite embarqué avec elle sa famille politique hors du gouvernement lorsque François Hollande a fait le choix de nommer Manuel Valls à Matignon, actant le fait qu'il n'y aurait pas de «virage à gauche» dans le quinquennat. Elle a alors assisté à la désagrégation de son camp : certains, comme Placé, quittant EE-LV à l'été 2016 pour rejoindre le gouvernement Valls, d'autres choisissant Emmanuel Macron, tel François de Rugy, récompensé par une place de président de l'Assemblée nationale. Ou encore Nicolas Hulot, ministre d'Etat d'un gouvernement qui, certes, met fin au projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, mais repousse les engagements pris par la précédente majorité sur le nucléaire. EE-LV n'a finalement présenté personne à la présidentielle, n'a plus aucun député et plus un sou. Dur bilan.«Ce qui va manquer à Duflot, c'est le côté apparatchik», taquine Durand.

Celle qui avait repris ces derniers mois une activité professionnelle dans une start-up, «au milieu de geeks», plaisantait-elle, et s'était mise en retrait de la vie publique, se réfère souvent à l'aventure réussie d'Europe Ecologie en 2009 avec l'arrivée - portée par Daniel Cohn-Bendit - de la société civile dans un parti politique. Cécile Duflot fait aujourd'hui le chemin inverse.