En politique, il y a des traditions. Dans les bons comme dans les mauvais moments, dirigeants, élus, candidats s’écrivent des petits messages, entretenant le lien politique par-delà les fortunes diverses. Amis (au moins) politiques, Benoît Hamon et Olivier Faure ne respectent désormais plus cette tradition. En 2017, le second n’a pas réconforté le premier au soir de sa rouste présidentielle. Et il y a trois semaines, le patron de Génération·s n’a pas adressé ses félicitations au tout nouveau premier secrétaire du Parti socialiste. Pourtant, entre les deux quinquas, il y a une histoire : ils ont vécu sous le même toit et ils ont découvert ensemble le monde politique. C’était au début des années 90, une éternité. Progressivement, les deux hommes ont pris leurs distances, Olivier Faure s’ancrant dans les fondations du Parti socialiste quand Benoît Hamon devenait la figure de proue de l’aile gauche. L’un réservé, l’autre solaire. L’un entouré, l’autre tête brûlée. Hamon le crucifié de la présidentielle, parti du PS sans crier gare, laissant Faure essayer de recoller un parti en mille morceaux.
Ils se retrouvent aujourd'hui l'un et l'autre à la tête d'une petite famille politique de gauche. En frontal. Se disputant tout : les militants, les dirigeants, la jeunesse, la place au sein de la gauche et les voix des Français. «Hamon est très libre, mais il est très seul», veut croire un proche d'Olivier Faure. «Il n'y a pas de duel, réfute Pascal Cherki. Avec Benoît Hamon, on veut participer à la reconstruction de la gauche, Olivier Faure n'est pas en capacité de le faire : il doit reconstruire le PS.» La bataille sera totale.
Colocataires : «On était des petits paysans»
Vendredi 29 mars, Olivier Faure se présente devant la presse, à Solférino, après le vote des militants. Sa première prise de parole avec l'étiquette de chef du PS. Il revient sur son parcours, il n'oublie pas Benoît Hamon. «On a vécu nos plus belles années ensemble et, quoi qu'il arrive, ça restera», souffle-t-il. Une semaine plus tard, on croise Benoît Hamon dans un train, pour soutenir les cheminots. On l'interroge, il refuse : «Oui, j'ai été son colocataire, comme des milliers de jeunes étudiants, tous les journalistes m'appellent pour raconter cette histoire alors qu'il n'y a rien de particulier à raconter.»
Au tout début des années 90, Olivier Faure et Benoît Hamon découvrent Paris. Le premier a quitté le Loiret, le second la Bretagne. Ils décident, avec d'autres socialistes, de s'installer en colocation «pour des raisons économiques». La bande partage un appartement à Maisons-Alfort (Val-de-Marne), puis un autre rue Lafayette (Xe arrondissement). Olivier Faure se marre à chaque fois qu'il replonge dans ses souvenirs : «On était des petits paysans, on a tout découvert ensemble, le métro, le monde de la nuit et le style vestimentaire, on ne savait pas s'habiller.» Benoît Hamon confirme avec un «j'étais un Breton, brut de pomme». C'est l'une de ses copines qui lui a permis de revoir son style. Selon Olivier Faure, son colocataire était un «sentimental, il tombait amoureux tous les jours».
Lorsqu'on pousse Hamon à nous dire un mot sur le passé, il lance seulement : «Olivier n'a pas changé, il a toujours été calme, posé, il était en couple.» Il oublie de dire que le nouveau chef du PS, qui avait déjà un talent pour le dessin, reproduisait les dessins d'Enki Bilal sur les murs. Olivier Faure raconte que Benoît Hamon découpait les photos de Sharon Stone - «il était fou amoureux d'elle» - dans les magazines people avant de les punaiser dans sa chambre. Hamon sourit, dément, puis lâche : «Il veut que je sorte les dossiers moi aussi ?»
De Rocard à 2017 : «Olivier est prudent, Benoît stratège»
Ils sont nés dans le même nid politique. Au début des années 90, Olivier Faure et Benoît Hamon s'engagent dans le sillage de Michel Rocard, le père de la «deuxième gauche». Manuel Valls est déjà dans la place, pilotant les clubs Forums qui regroupent la jeunesse rocardienne. Le premier fait d'armes du duo Hamon-Faure consiste à obtenir l'indépendance du Mouvement des jeunes socialistes (MJS), en 1994. Epaulé par Christophe Clergeau, Olivier Faure a un plan : propulser leur pote Hamon au poste de secrétaire général pour qu'il noyaute le mouvement. «Il faisait la passerelle avec les non-rocardiens, créer des liens entre les motions, il savait très bien faire», raconte Clergeau, ancien coloc devenu membre de l'équipe du premier secrétaire.
En 1997, la gauche plurielle de Lionel Jospin arrive aux manettes. La doublette se retrouve au cabinet de Martine Aubry, ministre du Travail. De nouveau siamois. Mais au fil des années 2000, les liens politiques se délitent sérieusement. Après le 21 avril 2002, Hamon fonde le Nouveau Parti socialiste (NPS) avec Vincent Peillon et Arnaud Montebourg, avant de faire campagne pour le «non» à la Constitution européenne et de fusionner avec le courant d’Henri Emmanuelli. Passé par le cabinet Hollande à Solférino, Faure devient secrétaire général du groupe PS à l’Assemblée, sous les ordres de Jean-Marc Ayrault. En position centrale face à un Hamon devenu le héraut de l’aile gauche.
En 2008, Martine Aubry, première secrétaire, nomme Hamon porte-parole du PS, lui offrant une visibilité médiatique à mille lieux de la discrétion affable de Faure. Pour un éléphant retiré des affaires, «Olivier est plus prudent, Benoît plus stratège». En 2017, le néocandidat à l'Elysée propose à son ancien ami de devenir son directeur de campagne. Faure refuse pour raisons familiales, mais promet de soutenir Hamon «même s'il tombe à 10 %» dans les sondages. Ce qu'il fera même avec un 6,36 %.
Aujourd’hui : l’un part, l’autre reste
Dimanche, à Aubervilliers, Olivier Faure est devant les militants et les cadres du PS pour son premier discours. L'heure n'est plus au sentiment. Le premier secrétaire du Parti socialiste place Benoît Hamon dans le même panier que Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron, Laurent Wauquiez et Marine Le Pen : «Ils se préoccupent de leurs destins individuels.» Il lui reproche aussi d'avoir quitté le PS après la présidentielle «sans rendre des comptes» auprès des militants.
Le fondateur de Génération·s a dû apprécier, même s'il explique à qui veut l'entendre qu'il n'est pas en compétition avec son ancienne famille. Son combat est ailleurs : Jean-Luc Mélenchon. Benoît Hamon, qui squatte le podium des personnalités préférées à gauche, s'est allié, le temps du mouvement social, à Olivier Besancenot et Pierre Laurent pour marginaliser La France insoumise. L'ancien patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, jamais avare d'analyse, explique : «Hamon part totalement à l'aventure alors qu'il est abîmé, son objectif, c'est la prochaine présidentielle. Faure, lui, veut remettre en forme le PS après l'année 2017, il n'a pas du tout 2022 en ligne de mire.» Peut-être. Mais ils se disputent les militants, les cadres.
Le dernier épisode du MJS - plusieurs cadres, dont la présidente, ont quitté le PS pour Génération·s - le prouve. Olivier Faure, qui répète à l'envi «je ne retiens personne», prévoit de donner de l'importance à l'aile gauche de son parti pour éviter qu'elle ne tombe dans le bras de son ancien colocataire. Le mouvement de Hamon, qui tourne essentiellement autour de sa personne, ne serait pas contre la prise médiatique d'une ou deux têtes d'affiche. Mehdi Ouraoui, qui a récemment quitté le PS pour Génération·s, les départage à sa manière : «D'un côté, on a une organisation encore vivante et quelques moyens, mais un inconnu. De l'autre, une organisation naissante mais une très forte incarnation, une star.» Le match est lancé.
Européennes : «L’impact aura lieu l’an prochain»
A un an des élections européennes, on ne peut pas dire que ça respire la confiance dans les soutes du PS. «Il n'est pas exclu que Génération·s soit devant nous» en 2019, souffle un député. «La chute n'est pas terminée, l'impact aura lieu l'an prochain», prédit un autre élu. Ce premier choc électoral entre le PS de Faure et le mouvement de Hamon va mettre en lumière leurs difficultés stratégiques. Le premier doit trouver le moyen d'exister face aux listes macronistes quand le second veut faire émerger une ligne qui se démarque de Mélenchon, tout en s'adressant à son électorat. «Il n'y a pas un fauteuil pour deux, réfute le socialiste Christophe Clergeau. On ne va pas se partager les 6,36 % de Benoît Hamon avec Benoît Hamon. On s'adresse à une fourchette bien plus importante de Français.» Côté Hamon, explique l'ancien député Pascal Cherki, «on va affirmer notre ligne : la rupture avec la social-démocratie qui a accepté tous les compromis libéraux foireux. Mais on n'organise pas la sortie de l'euro en loucedé.» Le genre de formules qui fait dire à Boris Vallaud que«Hamon est dans un truc pas commode : il n'est ni pro ni anti-Europe».
Le nouveau premier secrétaire ne s'y est pas trompé, dimanche à Aubervilliers, mettant le patron de Génération·s dans le même sac que le leader des «insoumis». Pour Faure, «il y a des Européens qui ne sont pas de gauche et une gauche qui n'est pas européenne. Avec les socialistes, la gauche européenne est de retour». Alors que Moscovici fait des pieds et des mains au PS pour décrocher une tête de liste, le mouvement de Hamon veut faire un remake de la liste écolo de 2009, en mettant en vedette des grands noms de la société civile. «Nous, on est libres et on n'est prisonniers de rien», rappelle Mehdi Ouraoui, passé à Génération·s. Ce qui énerve l'ancien député frondeur Christian Paul : «Mais c'est quoi, le but ? Savoir qui va arriver 5e ou 6e aux européennes ? Hamon et Faure n'ont pas d'autre choix que de se parler.»