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Libération
A la barre

Procès de la filière de Lunel : «Vous ne légitimiez le jihad qu'au téléphone ?»

Au troisième jour du procès de la «filière» de Lunel, petite commune de l’Hérault funestement célèbre pour avoir vu une vingtaine de ses jeunes partir en Syrie, le tribunal s’est intéressé aux ressorts de leur radicalisation.
Les pavillons voisins du quartier Abrivado à Lunel, en février 2015, après le coup de filet contre les terroristes. (Photo Nanda Gonzague)
publié le 9 avril 2018 à 22h37

C'est un étrange «accouchement» qui s'est déroulé dans la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris, lundi après-midi, au procès de la «filière» jihadiste de Lunel. Un accouchement aux forceps pour lequel Me Xavier Nogueras a joué les sages-femmes auprès de son fébrile client, Jawad S., soupçonné d'avoir pu inciter des jeunes de cette ville héraultaise à partir en Syrie.

Le discours de l'homme de 34 ans, un des cinq prévenus à comparaître dans ce dossier, a-t-il pu encourager ces départs vers le jihad ? «Vous n'en êtes qu'au stade des contractions. (...) Il faut que vous assumiez!», tance son conseil. Après trois heures d'audience, Jawad, agrippé à la barre, finit par lâcher un «oui»... Immédiatement nuancé : «Je pense avoir tenu des propos très radicaux. Après... Je n'ai jamais incité personne.»

Les mystérieuses «assises»

Ce Lunellois qui comparaît libre sous contrôle judiciaire a participé, en 2012-2013, aux fameuses «assises» religieuses. Il en a même dirigé quelques unes au Bahut, le snack de Karim qui fut le premier à se rendre en zone irako-syrienne. Mais Jawad l'assure, il était seulement question «de spiritualité, de comportement, d'engagement citoyen». Pourtant, «il semblerait que tous ceux qui sont partis y participaient», pointe le tribunal. A l'instar de Karim, Houssem et Raphaël, morts sur place. «C'étaient pas les plus assidus», commente le trentenaire.

Sa radicalisation «profonde», «violente», Jawad la reconnaît. «C'est une période dont je ne suis pas fier. Je voulais faire le sachant, alors que je ne suis rien du tout.» Pour autant, il ne cesse de le répéter : s'il a tenu des «propos littéralistes» c'est-à-dire un peu «salafistes», il n'a jamais parlé de jihad pendant ces «assises» ou en public.

«Une sorte d’ostentation»

Alors la magistrate déroule, encore et encore, les écoutes téléphoniques où il tient des propos plus radicaux les uns que les autres : «Moi, je suis pour la "Dawla"» ; «Les mecs de Charlie Hebdo, normal... tu les égorges. Normal, mon frère, insultes au Prophète»... Et la présidente de lancer, non sans ironie : «Vous ne légitimiez le jihad qu'au téléphone ?»

Pour se justifier, Jawad dit qu'il «faisait le beau». «Je me suis inventé une vie pour me donner de l'importance.» Aux enquêteurs, le jeune homme aux penchants dépressifs avait décrit une ambiance «un peu jihad», une surenchère entre jeunes. De quoi tomber dans «une sorte d'ostentation». Comment s'est opérée cette bascule au sein du groupe de jeunes aux profils hétéroclites ? Y avait-il un terreau propice à Lunel ?

«Même moi, j'arrive pas à l'expliquer», dit-il une énième fois. Comme ses copains, celui qui a connu une enfance heureuse a traversé un parcours professionnel chahuté - une «errance galérienne». Jawad raconte son mariage malheureux - deux ans, pas plus. Un «échec» mal vécu. Fin 2013, il n'est plus que l'ombre de lui-même. Il se radicalise en quelques vidéos et par «la fréquentation de Hamza M.», dont il est très proche. «J'ai trouvé un refuge dans la religion à partir de cette période. Avant, j'étais plutôt "normal".»

«Heureusement que je ne suis pas parti»

Aujourd'hui, Jawad se vit comme un repenti. Sa voix se brise. «Heureusement que je ne suis pas parti. Au fond de moi, je savais que je n'allais jamais franchir le cap.» En pleurs, le trentenaire parle de son «attachement pour (son) pays et (sa) famille, (ses) vrais amis». Il se sent français, «bien français».

Après lui, c'est justement Hamza M. qui s'est levé dans le box. Soupçonné d'avoir joué un rôle prosélyte, il est désigné par l'enquête comme le «personnage central» du groupe. Interrogé en fin de journée lundi, il continuera à l'être mardi.