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Libération
Récit

François Hollande : la plume dans l’après

Dans «les Leçons du pouvoir», l’ancien président de la République écrit pour assumer et réhabiliter ses choix et ses renoncements face à ceux qui l’ont si peu aimé. Et étrille au passage son successeur à l’Elysée.
A Paris, jeudi dernier. (Photo AUDOUIN DESFORGES)
publié le 10 avril 2018 à 21h16
(mis à jour le 10 avril 2018 à 21h26)

Un président devait écrire ça. D'ailleurs, dès les premières pages de ses Leçons du pouvoir (1), François Hollande raconte avoir pris la décision de donner sa version du quinquennat le jour de son départ de l'Elysée, en attendant Emmanuel Macron pour la passation de pouvoir. Un essai conçu comme un écho littéraire au recueil de confidences présidentielles de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Un président ne devrait pas dire ça… (2), qui avait précipité son retrait de la course présidentielle fin 2016. Une façon d'assumer (un peu) et de réhabiliter (beaucoup). Ce livre existe «non pour me justifier, non pour défendre un bilan qui avec le temps se défendra tout seul mais pour faire œuvre civique», écrit Hollande. Rien de moins. Pour que les Français qui l'ont si mal aimé «comprennent les choix» et les renoncements de son quinquennat. La date de parution ne doit rien au hasard, après le congrès du PS et avant l'anniversaire de la victoire de Macron - qu'il étrille tout au long des 406 pages.

La plume se fait parfois lyrique - quand il survole le désert malien, «l'étendue ocre ondule comme la mer, les animaux fuient sous l'avion, les oasis font des taches vertes sur le sable où l'on distingue parfois des caravanes de chameaux, comme dans un temps figé pour l'éternité» - mais plus souvent didactique, jusqu'à l'excès. Comme un super Que sais-je ? sur la Ve République et le fonctionnement de l'Elysée. Dans ces détails à foison, François Hollande, ce «sortant pas perdant» (lire également notre portrait), fait vivre sa présidence. Encore un petit peu.

Où il dézingue Macron

Comme un Daumier du XXIe siècle, Hollande croque ses pairs avec délectation. Un Poutine «tout en muscles et en mystère» croise un Obama moins chaleureux que son personnage public qui, crime de lèse-France, abandonne son fromage de chèvre au bord de l'assiette, une Merkel «maternelle» le 11 janvier 2015. Mais l'ancien président réserve son portrait le plus gratiné à celui qui lui a piqué la place. L'histoire de sa relation avec Emmanuel Macron fait l'objet, en plus de cercles concentriques au fil de tout l'essai, d'un chapitre entier de 22 pages intitulé «Faire confiance». De la première rencontre au bar du Bristol en 2008 par l'entremise de Jacques Attali à la démission de son ministre de l'Economie en août 2016, Hollande fait le récit d'une trahison - un mot qu'il se refuse pourtant à utiliser. En résumé, Macron n'aurait pas de colonne vertébrale : il «sait séduire son interlocuteur en devinant vite ce qui sera agréable à son oreille». Aurait systématiquement dupé Hollande sur ses intentions pendant le quinquennat : «J'ai toujours admis la compétition politique mais je pense qu'elle doit se mener au grand jour. […] Convenons que ce ne fut pas le cas.» Macron pratiquerait aujourd'hui le pouvoir de façon monarchique et ne devrait sa position qu'à «son audace, qui est grande et sa chance qui l'est encore davantage». Bref, une sorte d'accident de l'histoire. «Il est sûr que le réel se pliera de bonne grâce à sa volonté dès lors qu'elle s'exprime», taille Hollande.

Passé les années de travail commun et les premières incartades, vient le temps de la vraie rupture. Hollande ne voudra jamais y croire. En avril 2016, Emmanuel Macron va créer son mouvement, En marche. «Son but, m'affirme-t-il, est d'élargir la majorité, écrit Hollande. Je décide encore une fois de lui faire confiance. Naïveté ? Certainement pas.» Mais un bon gros défaut d'analyse sur les aspirations des Français. Pour lui, en pleine mobilisation contre la loi El Khomri, «la gauche ne paraît pas prête à se donner à un homme providentiel». En juillet, Macron organise son premier show présidentiel, à la Mutualité. Hollande s'enquiert de ses intentions. SMS de l'intéressé pour le rassurer : «Mes soutiens diront que [ce meeting] ne sert ni à démissionner ni à annoncer ma candidature. Grotesque. Bises.» Pendant cinq ans, conclut Hollande, «je n'ai pas cessé de me situer dans un camp, celui du progrès. C'est ce qui a été appelé l'ancien monde. C'est le mien, il a de l'avenir». Les jours de la «start-up nation» sont comptés, autrement dit.

Où il regrette

Certaines confessions n'en sont pas vraiment. Deux ans après les attentats de novembre 2015 et sa proposition de déchéance de nationalité, l'ancien chef de l'Etat pense toujours que la mesure ne «menaçait en rien les libertés publiques, pas plus que les principes d'égalité entre les citoyens. Mais en démocratie, il ne suffit pas d'avoir raison, il faut aussi convaincre». Et il a échoué. Preuve, selon lui, que «l'irrationnel» l'a emporté dans cette bataille, Hollande révèle un SMS d'Alain Minc. Et écrit : «Sa fille est mariée à un Américain et s'inquiète de son sort futur. On cède sans retenue à la passion.» Hollande retirera ce texte «conçu pour unir et qui finit par diviser». Même démonstration sur la loi El Khomri : le fond était bon - «un compromis social-démocrate équilibré entre souplesse et garanties» - mais la pédagogie boiteuse et le calendrier mauvais. A posteriori, Hollande écrit même qu'il aurait dû faire voter cette loi dès 2013, afin qu'elle puisse avoir des effets sur la croissance : «La gestion du temps est une condition de la réussite en politique. J'y ai dérogé.»

Plus inédits, ses regrets sur Jérôme Cahuzac, le ministre du Budget fraudeur du fisc qu'il aurait dû faire partir dès l'enquête préliminaire. Soit en janvier 2013 et non début avril. Pour Hollande, «la démission doit intervenir dès le déclenchement d'une procédure judiciaire sans attendre la mise en examen». Thomas Thévenoud et Bruno Le Roux s'en souviennent. Gérald Darmanin appréciera.

Sur le droit des étrangers, cette «promesse restée lettre morte», l'ex-président s'en veut de ne pas avoir piégé la droite en imposant un vote au Congrès. L'échec était assuré, la majorité des deux tiers des parlementaires inatteignable. Mais «la gauche aurait démontré qu'elle avait tout fait pour mener à bien la réforme». En renonçant à autoriser l'accès à la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes, «je m'en suis voulu d'avoir manqué d'audace», écrit Hollande, certain que c'est le sens de l'histoire, malgré l'opposition d'une droite radicalisée : «Il s'agit d'amour filial, comment peut-on encore se mettre en travers de cette évolution ?»

Mais la mère de tous les regrets est ailleurs. Président prolixe qui a ouvert toutes les écoutilles de l'Elysée à ses dépens, Hollande explique qu'il a pris conscience «que la démultiplication de la parole, loin de [le] rendre familier aux Français, [l]'en éloignait». Administrée à lui-même, c'est la plus dure leçon de tout l'ouvrage : comprendre «la différence entre donner du sens et faire du bruit».

Où il réécrit l’histoire

François Hollande a une vision claire - à défaut d'être rigoureuse - de son quinquennat : si la gauche est sortie fracturée de son mandat, c'est d'abord à cause des frondeurs. Lui n'aurait pas grand-chose à se reprocher. A l'en croire, il a tenu scrupuleusement ses engagements de campagne. Son combat contre la finance ? Hollande s'interroge : «Ai-je failli à mon engagement du Bourget ? En aucune manière. Mes gouvernements ont réformé la loi bancaire, obligeant les établissements financiers à séparer les activités de dépôt de celle de placement.» Sauf que la loi bancaire en question n'obligeait pas à une telle séparation (ce qui aurait été une vraie révolution) mais concernait uniquement «les activités spéculatives en compte propre» des banques. De l'aveu de Frédéric Oudéa, le patron de la Société générale, cela ne représentait d'ailleurs que «1 % de ses revenus».

La renégociation du traité budgétaire européen ? «J'avais promis que le texte serait négocié. Il l'a été doublement.» La réalité, là encore, est bien différente. Le traité européen a été voté sans aucune modification par l'Assemblée nationale, juste complété par un pacte de croissance. Sur la loi travail, Hollande s'attribue le beau rôle : celui de l'homme qui a vu le danger politique et défendu une position équilibrée. Page 334 : «Comme je le redoutais, le débat sur le projet El Khomri prend un tour de plus en plus tendu. Je demande à Valls de reprendre le texte et d'en ôter les dispositions qui ont irrité les syndicats réformistes.» Mais, selon plusieurs sources à l'époque, Hollande a pourtant bien défendu la première mouture du texte. Lors d'une dernière réunion d'arbitrage à l'Elysée, seul le fidèle Michel Sapin, alors ministre de l'Economie, avait mis en garde contre un projet de loi qui risquait de braquer la CFDT. «Ce n'est pas avec la CFDT que l'on va réformer la France», avait alors cinglé Macron. Mais la plus belle (et triste) réécriture concerne la crise migratoire. François Hollande aimerait se voir comme un chef de l'Etat courageux face à un drame humanitaire historique. Ce ne sera pas le cas. Il lâchera prise d'abord sur la proposition de quotas européens de migrants au printemps 2015. «Cette idée des quotas suscite aussitôt une levée de boucliers», s'insurge l'ancien président, mettant en cause l'égoïsme des pays de l'Est. Il oublie juste de dire que son Premier ministre de l'époque, Manuel Valls, était lui aussi parti en croisade contre le principe des quotas. Et qu'il ne les a lui-même jamais défendus auprès des Français. Quant à la décision d'Angela Merkel d'accueillir plusieurs centaines de milliers de réfugiés en août 2015, Hollande écrit : «La France ne peut rester spectatrice. Je propose d'accueillir ceux qui voudraient demander l'asile en France.» Il n'en sera rien. Pour comprendre ce qui se passait à l'époque, mieux vaut lire le récit de son ancien conseiller politique, Vincent Feltesse (3). Qui raconte que la crise migratoire est alors un sujet presque tabou à l'Elysée, n'ayant fait l'objet d'aucune réunion. Il faudra, explique Feltesse, attendre la photo du petit Aylan, le 2 septembre 2015, pour que la présidence se réveille et que Hollande se décide enfin à soutenir la politique de quotas européens. Des engagements que la France ne respectera même pas.

Où il parle vie privée

François Hollande n'est pas à un paradoxe près. «Je suis pudique», écrit-il avant de consacrer un chapitre entier à sa vie privée. «On parle de mystère : il n'y en a pas […]. Je suis un homme comme les autres, avec ses joies, ses bonheurs, ses peines et ses doutes, j'évite seulement de les imposer à autrui. Je préfère leurs épanchements aux miens», souligne-t-il avant de parler de sa vie sentimentale («mariage pour tous, sauf pour moi») ou de ces «voisins d'en face» de l'Elysée, un couple à qui il faisait coucou depuis ses fenêtres et qu'il a fini par inviter dans son bureau.

Ségolène Royal ? Une «féministe» brillante, adepte des «coups d'éclat et des initiatives audacieuses». L'hommage après les orages. «Séparés nous étions capables d'œuvrer pour le bien commun», lors de la primaire de 2011 puis quand il la nomme au ministère de l'Ecologie et lui confie la COP 21. Valérie Trierweiler ? La journaliste émérite n'a jamais réussi à trouver sa place dans les coulisses de la vie politique. Entre eux, «quelque chose s'est brisé» le jour de son tweet de soutien à l'adversaire de Royal aux législatives, en juin 2012. Les mots du livre-réquisitoire de son ex après leur séparation «m'ont fait mal. C'était sans doute son intention». Par une «transgression intolérable» des journalistes people - «populaire serait un compliment» -, les Français ont ensuite découvert Julie Gayet, actrice et productrice de cinéma : «Sans avoir besoin de jouer un rôle, elle était là avec cette aspiration au bonheur qui rend la vie plus douce. Même à l'Elysée.» Un palais où le président s'est vite retrouvé enfermé malgré ses envies de balades en solitaire. Alors il marchait dans le parc dans l'espoir de «respecter les 6 000 pas par jour conseillés par Michel Cymes», parfois accompagné de Philae, sa chienne labrador. Pour faire remonter sa cote, on demande au président de mettre en scène la naissance de ses dix petits chiots ? «Je sens que les Français ont une affection particulière pour les animaux domestiques mais je refuse l'exercice. Les chiens aussi, pour moi, ont droit à leur vie privée.»

(1) Les Leçons du pouvoir (Stock).

(2) Un président ne devrait pas dire ça… (Stock).

(3) Et si tout s'était passé autrement (Plon).