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Libération
Analyse

Un démocrate-chrétien contre les réactionnaires

En dialoguant avec les catholiques, le Président tente de marginaliser les courants identitaires et la droite de Laurent Wauquiez avant de lancer des réformes sur des sujets de société.
La réunion au couvent des Bernardins, le 9 avril, était organisée avec la Conférence des évêques de France. (Photo Denis Allard. REA)
publié le 10 avril 2018 à 20h46

Mardi matin, Laurent Wauquiez et ses amis n'ont pu cacher leur mauvaise humeur. Non content de lancer, dans le champ économique et social, les réformes dont la droite a longtemps rêvé sans jamais oser les faire, voici qu'Emmanuel Macron se paie le luxe d'un franc succès devant la conférence des évêques de France. Du jamais-vu : les plus hauts dignitaires de l'Eglise catholique ont salué lundi soir avec enthousiasme les propos de ce chef de l'Etat qui venait de leur dire avec lyrisme sa conviction que «la sève catholique» devait «contribuer, encore et toujours, à faire vivre notre nation».

«Tactique». Le succès de cette proclamation a de quoi inquiéter le nouveau chef de LR. Car Laurent Wauquiez a précisément l'ambition de se faire reconnaître comme le plus constant, le plus légitime et le plus authentique des défenseurs des «racines chrétiennes» de la France. Le retentissant discours de Macron tombait particulièrement mal pour lui. Ce même mardi, dans le Figaro, il publiait une tribune incendiaire contre le successeur de François Hollande. Prisonnier de «l'idéologie de la repentance», Macron aurait tout bonnement «démissionné» face à l'intégrisme, allant, dans son «aveuglement», jusqu'à considérer les islamistes comme «des victimes par nature». Conçue pour faire grand bruit et mobiliser la droite traditionnelle contre un président mondialiste à qui «l'amour charnel pour la France» serait étranger, cette violente charge est passée largement inaperçue.

Après leur réunion hebdomadaire à l'Assemblée nationale autour de Laurent Wauquiez, certains députés LR étaient visiblement contrariés par l'excellente réception du discours présidentiel chez les catholiques. Il ne faut y voir, ont-ils protesté, qu'une «nouvelle tentative de déstabiliser la droite», de la «tactique politique» et «une récupération grossière». «On n'est plus sur des ficelles, on est sur de la corde à nœuds !» s'est emporté, le chef de file des députés LR, Christian Jacob. Ce proche de Wauquiez a fait remarquer qu'avant de servir de belles paroles aux évêques de France, le chef de l'Etat s'était ostensiblement abstenu de bénir le corps du défunt lors des obsèques de Johnny Hallyday. C'est dire la duplicité du personnage… Dans son élan, et sans s'encombrer de cohérence, Jacob reproche au président de la République sa «vision très communautariste de la société française».

Il est vrai que la droite, déjà fort mal en point, a de sérieuses raisons de s'inquiéter. Les dernières élections avaient en effet mis en évidence un virage net et prometteur de l'électorat catholique. Près d'un pratiquant sur deux (48 %) avait voté François Fillon au premier tour et 38 % pour Marine Le Pen au second tour. Selon le politologue Jérôme Fourquet, Macron a bien compris les ressorts du «repli identitaire» de cet électorat. Dans une société largement déchristianisée, alors que l'assassinat du père Hamel en juillet 2016 a renforcé la «peur de l'islam», le chef de l'Etat aurait tout à craindre d'une mobilisation comparable à celle que dut affronter François Hollande avec la Manif pour tous.

Les débats à venir sur l'euthanasie, et plus encore sur la PMA à laquelle se déclarent opposés les deux tiers des catholiques pratiquants, pourraient servir de détonateurs. Pour désamorcer cette menace, Macron a pris soin d'assurer, devant les évêques, qu'il «entend» le message de l'Eglise et qu'il reconnaît, avec elle, qu'il faut «trouver une limite à la manipulation du vivant».

Miracle. Malgré le tir de barrage de la droite, la célébration des «liens indestructibles entre la nation française et le catholicisme» n'a pas laissé insensibles certains élus LR. C'est ainsi que le député de la Manche Philippe Gosselin a salué comme un petit miracle «une position qu'on n'avait pas entendue depuis très longtemps et qui détonne». Venant d'un élu qui fut l'un des principaux animateurs de la Manif pour tous, l'hommage devrait aller droit au cœur du chef de l'Etat. En promettant de «réparer» les «liens abîmés» entre l'Eglise et l'Etat, Macron se sera peut-être attiré la bienveillance d'une partie des catholiques. Sans doute en aura-t-il bien besoin quand il s'exprimera sur l'islam dans la République. Le plus dur reste à faire.