Jets de pierres et de boue par des manifestants protégés de boucliers de fortune et détonations assourdissantes de grenades de désencerclement ont de nouveau émaillé toute la matinée de mercredi sur la ZAD, faisant au moins deux blessés. Un jeune manifestant au nez ensanglanté et se tenant le ventre a été évacué vers une ambulance stationnée à l’arrière, et un photographe aurait été touché aux jambes par les éclats d’une grenade. Plusieurs opposants ont été touchés après des détonations de grenades de désencerclement.
Face à l'intervention des forces de l'ordre et aux démolitions de «lieux de vie», de nombreux renforts ont été enregistrés côté zadistes. «Depuis hier, ce sont des dizaines et des dizaines de personnes qui nous sollicitent pour des hébergements et la cantine est débordée», explique une jeune femme au bonnet de laine coloré, un mégaphone à la main, au milieu d'une vaste prairie où forces de l'ordre et zadistes se sont un moment déplacés pour s'observer dans un moment de suspension irréel.
Bravade
«Ici c'est la commune de la ZAD, premier avertissement, on vous demande de reculer, sinon on va faire usage de la force», lance en forme de bravade la jeune zadiste dans son mégaphone, inversant un instant les rôles. «Gendarmerie nationale, reculez !» lui répondent en écho ses vis-à-vis, alors qu'un octogénaire, bottes au pied, crinière blanche et canne à la main s'avance d'un pas décidé sur l'herbe verte vers les gendarmes mobiles, jusqu'à les rejoindre et engager une discussion.
La «ligne de front», située non loin du lieu-dit «les Fosses noires», n’a guère évolué. Mais à l’arrière, les rangs des manifestants, beaucoup de jeunes gens aux regards déterminés mais aussi des militants associatifs plus âgés, se sont effectivement singulièrement étoffés.
«La préfète et les autorités ont réussi à nous radicaliser, alors que je ne le suis pas du tout, explique Marie-Lise, 63 ans, membre de l'Acipa, l'association qui s'est battue pendant des années contre le projet d'aéroport, récemment abandonné par le gouvernement. En s'attaquant aux "100 Noms" [un lieu de vie porteur d'un projet agricole], ils ont ressoudé toutes les composantes du mouvement. Il paraît que la préfète aurait ouvert une porte à la discussion mais désormais toutes les paroles qu'on pouvait avoir avec les zadistes pour trouver des solutions sont décrédibilisées.»
«La destruction brutale des 100 Noms a tout déclenché, renchérit Jean-Luc, agriculteur à Vigneux-de-Bretagne. Alors que ce n'était pas des radicaux mais au contraire des gens ouverts qui organisaient des choses formidables. Maintenant, ça va débouler de partout.»
Pioches
Jeunes Allemands ou Espagnols ont en tout cas d'ores et déjà rejoint le mouvement tandis que de nouveaux véhicules immatriculés un peu partout en France ont aussi afflué dans la ZAD. «C'est un gros gâchis, mais en face, ils ne comprennent que le rapport de force», lâche «Camille», artisan de 46 ans et «père de quatre enfants», venu d'un département voisin. «Ils ne nous laissent pas le choix, rebondit un zadiste. Ils ne veulent que des projets individuels et ne veulent pas entendre parler de collectifs.»
Cris, détonations, nuages de gaz lacrymogène voilant le ciel, la bataille de positions entre gendarmes mobiles et zadistes s’est poursuivi tout au long de la matinée de mercredi tandis que des militants encagoulés et maculés de boue, munis de pelles et de pioches, creusaient des tranchées dans le bitume de la petite route de campagne que se disputent les deux parties et déjà hérissée de barricades, pour stopper l’avancée éventuelle du véhicule blindé.
Loin des heurts, l'évacuation et la destruction de lieux de vie se sont toutefois poursuivies. Mercredi tous les accès à la ZAD étaient par ailleurs bloqués par les autorités pour raisons de «sécurité», obligeant les journalistes à emprunter des chemins de traverse au milieu du bocage pour rejoindre le théâtre des affrontements. Un vaste «pique-nique» où sont attendues plusieurs centaines de personnes était annoncé à la mi-journée sous un grand barnum blanc dressé sur une prairie de la ZAD.