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Portrait

Roxane Lundy, vlan la jeune garde

Enthousiaste, la présidente du MJS a provoqué la rupture du mouvement avec le PS pour rejoindre Génération·s de Benoît Hamon.
(Photo Fred Kihn pour Libération )
publié le 11 avril 2018 à 19h26
(mis à jour le 11 avril 2018 à 19h33)

Franchement ? Pourquoi, à 22 ans, quand on a la vie devant soi et qu'on est, manifestement, intelligente, s'embêter à passer ses soirées à militer pour un microparti à l'avenir plus qu'incertain après avoir fait ses classes dans un autre en train de mourir ? Certes, l'hiver est particulièrement long, il faut s'occuper, mais il y a tant d'autres choses à faire, surtout quand on dit ne pas agir par romantisme mais par volonté, un jour, «d'accéder au pouvoir». Puis, au fil de la discussion, on voit briller les étoiles dans ses yeux lorsqu'elle parle d'écosocialisme, vraiment, vous savez, ça pétille, tchi, et le sourire, tcha. Elle y croit. Bon, soit c'est de la bonne, mais elle jure qu'elle ne prend rien, n'a même jamais tiré sur un pétard, alors qu'elle est pour la légalisation, soit elle a le virus et ne veut pas se soigner.

On rencontre Roxane Lundy, un mercredi. Dans le XIe arrondissement parisien, dans l'appartement dénudé de son copain. Lui aussi est militant, ils sont ensemble depuis six mois, c'est l'amour. La jeune femme a un nom nordique mais des origines franco-italiennes (par son père) et kabyles (par sa mère). En février, elle a été élue à la tête du Mouvement des jeunes socialistes (MJS). En mars, à peine un mois après sa prise de fonctions, elle a annoncé que l'association prenait son indépendance de «l'Ehpad» Parti socialiste (PS) - selon ses mots - et ralliait le jardin d'enfants de Génération·s. Elle a du coup renoncé à son salaire, un smic, et va devoir vite trouver un travail, «peut-être dans l'associatif».

Une décision validée officiellement le week-end dernier et qui entérine la division entre une majorité de jeunes plus à gauche et ce qu'il reste de la vieille garde des éléphants démocrates sociaux. Lorsque les historiens se pencheront sur la mort du PS, elle ne sera pas au niveau de Hollande qui a fourni le cercueil mais elle aura le droit à une ligne ou deux pour avoir planté un des derniers clous. En un mois, partir comme ça avec armes et bagages, joli coup de Jarnac.

«Mes brigues, mes complots, ma trahison fatale», comme dirait Roxane, l'autre, celle de Racine ? Lundy rit : «Ah non ! ce n'est pas une trahison. C'est rester qui aurait été bizarre et pas en accord avec nos valeurs.» Surtout après le départ de Benoît Hamon et l'élection d'Olivier Faure, signe que la ligne ne va pas changer. Et de rappeler le rêve brisé du précédent quinquennat : les lois Macron, la déchéance de nationalité, la loi travail, Valls Premier ministre, l'état d'urgence, les divers renoncements sur la régulation de la finance, etc. «Je m'étais dit : "Super, le PS va changer ma vie et le monde !" Et puis, la cata…» soupire-t-elle.

«Elle a fait un choix cohérent avec l'orientation du MJS, souligne Benjamin Lucas, ancien président du mouvement et ami, parti lui aussi chez monsieur 6,35 %. Elle a assumé ce qu'aucun d'entre nous avant elle n'avait eu le courage de faire.» «Mine de rien, elle prend un risque politique et personnel, se réjouit de son côté Hamon. Elle sort d'une zone de confort où le PS aurait largement pu la mettre en avant.» Génération·s ne devrait pas s'en priver non plus. «Elle est intelligente et solide, continue l'ancien candidat à la présidentielle, notamment parce qu'elle en a pris plein la tête après ses annonces. Elle a réagi avec beaucoup de sang-froid face à des hommes qui ont voulu la démolir.» L'ascension de Roxane Lundy a été rapide : en quelques mois, elle est passée de simple militante à présidente du MJS, sous les contestations. Ses adversaires ont dénoncé des fraudes. «On a appris dans le Monde ce départ. C'est un véritable hold-up de notre organisation, regrette Pauline Blanc, d'une tendance concurrente. Elle peut paraître très gentille mais elle a agi de manière totalement irrespectueuse.» Roxane Lundy se récrie : «Même en latin, je n'ai jamais triché de ma vie.» Ce qui, si c'est vrai, est une performance. «Elle est très honnête, très vraie, très juste, portée par ses idées et ses engagements», la défend Lucas Geiner, son petit ami.

Dès l'adolescence, la jeune femme s'est intéressée au féminisme (tendance abolitionnisme et antiporno) et à l'antiracisme, puis au socialisme et, enfin, à l'écologie. Elle cite ses lectures marquantes : Emile Zola, Henri Bergson, Chantal Mouffe, André Gorz, Naomi Klein, Rutger Bregman. Roxane Lundy a grandi avec son petit frère à Choisy-le-Roi, en banlieue dans le Val-de-Marne, entre le pavillon de ses parents, médecins, et l'appartement modeste de sa grand-mère maternelle, cité Jacques-Cartier. Elle en garde un beau souvenir de la mixité et regrette que les mouvements de jeunes ne soient pas assez attirants pour les quartiers. «J'ai vraiment rencontré le MJS en arrivant à Paris. C'est tout l'enjeu : comment devenir un courant d'expression populaire ?»

A l'école, c'était facile. Deux ans d'avance, mention très bien au bac S, prépa littéraire à Victor-Duruy dans le centre bourgeois de Paris. Admissible à l'ENS, l'impétrante ne se présente pas à l'oral, préférant aller en master d'affaires publiques à Sciences-Po. Un parcours sans fautes, très discipliné. Roxane Lundy, qui parle chinois, espagnol, anglais et un peu berbère, s'en excuse presque : «J'ai des facilités et ça a toujours été un plaisir de travailler.» Derrière une parole truffée du verbiage politique habituel pointe encore une légère timidité. Sur certains sujets (en gros, en dehors de l'école et de la politique), elle fait la moue, dit «j'ai l'air chiante» ou, pendant la photo, répète «je ne suis pas photogénique».

«Si elle sent que vous n'avez pas le moral, elle est là pour vous écouter, souligne encore Lucas. Elle est solide pour plusieurs.» Ce côté bonne samaritaine, soucieuse de l'autre, apparaît vite. Nécessaire quand l'engagement est permanent et que la frontière entre vie privée et activités publiques est souvent floue, pouvant parfois entraîner des situations graves. Au momentde #MeToo, Libé a révélé qu'un ancien président du MJS, Thierry Marchal-Beck, était accusé d'agressions sexuelles par plusieurs militantes. Roxane Lundy s'est retrouvée en première ligne pour dénoncer ces agissements. La jeune femme a choisi tout de suite d'être du côté des victimes, quitte à ce que cela égratigne l'image de l'organisation. Elle n'a aucun doute sur la réalité de ces harcèlements. Lorsqu'on en parle, elle a des trémolos dans la voix.

Alors, changement de sujet : petit passage par ses chanteurs préférés, Soprano, Kerry James, Arkana, son intérêt de «Footix» pour le Red Star, comme Hollande, et son incapacité à cuisiner. Et puis, bien sûr, sa confiance absolue dans les succès électoraux futurs de Génération·s (l'espoir fait vivre) et dans le mouvement social actuel. «Je suis persuadée qu'il sera plus productif que Mai 68.» Bel optimisme. En tout cas, comme elle, ça monte.

25 septembre 1995 Naissance à Créteil.
2014 Adhère au Mouvement des jeunes socialistes (MJS).
Février 2018 Présidente du MJS.
7 avril 2018 Le MJS quitte le Parti socialiste (PS).

photo Fred Kihn pour Libération