A13 heures, quand le visage de Jean-Pierre Pernaut apparaît suivi par celui d'Emmanuel Macron, seuls quelques sourcils se lèvent. Artisans, ouvriers, salariés, petits patrons, la plupart des clients attablés dans cette salle ne prêtent guère attention à l'exercice médiatique qui se déroule à portée de regard. Certes, il faudrait un peu monter le niveau sonore de la télé pour mieux entendre le Président. Mais personne ne le demande. Ils préfèrent finir leur repas et leur quart de rouge en causant entre collègues. D'ici à vingt minutes, une demi-heure maximum, tous auront regagné leurs chantiers respectifs. Pas le temps de traîner, ni de tergiverser. Commentaire laconique d'un de ces travailleurs : «Désolé, je dois y aller, faut payer la CSG.» Un autre enchaîne : «Ce que Macron va dire, ça va pas changer notre journée. Malheureusement.»
«Petit peuple». Au Centre, café-restaurant planté comme son nom l'indique au cœur du village d'Entraygues-sur-Truyère, un millier d'habitants dans le Nord-Aveyron, la salle où se côtoient les travailleurs est bondée. Il faut dire que le menu à 13 euros, entrée-plat-dessert, café et vin compris, a de quoi séduire. D'autant qu'ici, chacun compte et recompte ce qu'il lui reste à la fin du mois. Comme Pascal, salarié dans le BTP, qui estime qu'il faut avoir plusieurs boulots pour pouvoir mettre un peu d'argent de côté. Ce qu'il attend de cette prestation d'Emmanuel Macron ? Pas grand-chose. «Enfin, si : qu'il parle du petit peuple.» Accoudé au bar, sirotant un Ricard, Alain, retraité, prend moins de précautions : «Les rase-mottes comme nous, il en a rien à cirer, Macron. De toute manière, on se fait entuber de partout.»
A entendre ces hommes (pas une seule femme dans cette salle, hormis la serveuse), on pourrait croire qu'ils ont déserté le champ politique. Mais non : à la dernière élection présidentielle, le taux de participation à Entraygues atteignait 84 % au premier tour. Même si ce taux faiblissait un peu au second (80 %), le village aveyronnais offrait une belle avance à Macron, avec environ 70 % des suffrages. Alors, déçus ? Non, blasés : «Sarkozy, Hollande, Macron, c'est à peu près les mêmes politiques, juge Pascal. On n'est pas plus déçus par Macron que par les autres.»
«Tous pourris». Julien, 24 ans, salarié, n'a pas voté pour Emmanuel Macron et ne veut toujours pas en entendre parler. Ecrasé, dit-il, par le poids des taxes et des impôts, il lâche : «Les riches s'enrichissent, alors que pour nous, c'est vraiment dur. Moi, je pense qu'ils sont tous pourris jusqu'à la moelle.» Alexandre, patron d'une entreprise de maçonnerie, a quant à lui préféré s'abstenir au second tour de la présidentielle : «Macron, il nous a juste ponctionné un peu plus. Alors, le regarder parler à la télé, ça ne m'intéresse pas. Ce que j'aimerais, c'est que les charges baissent.»
Campé derrière son comptoir, Jérémie, 28 ans, patron de ce bar-restaurant, écoute les commentaires de ses clients avec un sourire affectueux. Lui aussi a «du mal avec les charges». Et lui non plus ne regarde pas le petit écran. «De toute manière, dit-il, Macron est très fort médiatiquement et il arrivera à faire passer son message… C'est soi-disant une interview, mais c'est plutôt comme un discours.» A l'étage, les salariés qui travaillent dans l'agence bancaire située juste en face finissent eux aussi leur repas. L'intervention présidentielle n'a pas davantage de succès. «Les grands oubliés, c'est la classe moyenne, estiment-ils. Quant aux retraités, on voit qu'ils ont vraiment du mal à finir le mois. C'est pire qu'avant.» Au moment de payer de l'addition, personne dans le restaurant ne pense à lever les yeux vers l'écran.