Un nouveau front a été ouvert, ce jeudi matin, dans la bataille autour de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique). Pas entre les haies et les champs de la ZAD, mais cette fois-ci dans l'enceinte du palais de justice de Nantes. Un habitant des «100 Noms», l'un des premiers «lieux de vie» détruits lundi par les pelleteuses, a en effet assigné en urgence la préfecture pour faire reconnaître a posteriori «l'illégalité» de sa procédure d'expulsion : la décision de justice sur laquelle elle se basait ne lui a jamais été communiquée.
Si cette «ordonnance sur requête» leur avait été délivrée, comme ils l'avaient demandé à plusieurs reprises «depuis 2013» aux propriétaires successifs de leurs parcelles (département, Vinci, Etat), les habitants de cette «ferme en devenir» auraient alors pu demander au juge des référés du tribunal de grande instance de Nantes de la retirer. Et d'obtenir éventuellement un délai, comme celui octroyé en mars 2016 à la Noé verte : cette conserverie avait eu quatorze mois pour quitter la maison qu'elle occupait sans autorisation.
«Beau gâchis»
La décision de la juge des référés, qui rendra son ordonnance ce vendredi, sera donc scrutée de toutes parts. «Ce qu'on espère, c'est une reconnaissance de cette "voie de fait", c'est-à-dire une atteinte grave aux droits des occupants des 100 Noms, qui ouvrirait le droit ensuite à des recours indemnitaires», explique Pierre Huriet, l'un des deux avocats du requérant. Surtout, une telle «voie de fait» serait «une véritable difficulté pour la préfecture» dans la poursuite de ses expulsions. «Ces décisions, vieilles de cinq ans, ont été gardées secrètes et ont été utilisées dans l'urgence absolue sans que mon client n'ait pu saisir un juge», insiste-t-il. «En janvier 2016, Vinci jurait la main sur le cœur que ces ordonnances n'existaient pas», rappelle Stéphane Vallée, le second avocat du requérant.
«Du coup, on ne pouvait rien faire, si ce n'est attendre que l'expulsion survienne. Alors qu'on essayait d'éviter un incendie, on se retrouve aujourd'hui à tenter de l'éteindre totalement… C'est un beau gâchis.» Lui et son confrère sont ainsi convaincus que l'Etat a caché son jeu pour éviter que la justice n'accorde un délai aux zadistes. «Le recours au juge, ce n'est pas un caprice de militant pour gagner un peu de temps : cela permet de protéger le petit contre le puissant, fût-il l'Etat ou le Premier ministre», reprend Pierre Huriet.
«Je suis là»
Mais le discours ne passe pas vraiment de l'autre côté de la barre. «On peut gloser sur l'accès au juge, mais le respect du droit et de la démocratie, c'est d'abord celui des décisions de justice : il y en avait plus de 200 qui avaient été rendues contre le projet d'aéroport, fustige Me Yves Claisse, l'avocat de la préfecture. Ils savaient très bien qu'ils devaient partir… S'ils avaient demandé un délai après trois ou quatre ans d'occupation illégale, cela aurait été un peu fort de café.» Au lieu de ça, les habitants des 100 Noms ont joué, selon lui, pendant cinq ans, au «petit jeu du chat et de la souris». «Ils nous disent "Je suis là", "Vous pouvez venir me trouver", mais quand l'huissier arrive sur place, la personne en question n'est jamais là… On tombe sur quelqu'un d'autre, qui se présente simplement comme un habitant du lieu, fustige-t-il. On avait donc personne à qui signifier personnellement cette ordonnance.»
Une «blague un peu saumâtre» qui ne faisait plus vraiment rire non plus Aéroports du Grand Ouest (AGO), la filiale du groupe Vinci qui était concessionnaire de l'ex-projet d'aéroport. Le délai obtenu en mars 2016 par la conserverie de la Noé verte était ainsi «ubuesque», confie à Libération une source judiciaire proche du dossier. «Rien n'interdisait donc de garder ces ordonnances secrètes. La seule obligation était de les produire au moment de leur exécution. C'est très marrant d'entendre aujourd'hui les zadistes se draper dans le droit alors qu'ils sont dans la plus totale illégalité.»