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Analyse

Macron plus en forme qu'en fond

Face à Bourdin et Plenel, le président de la République s'est montré pugnace à défaut d'être convaincant.
Emmanuel Macron interviewé le 15 avril par Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel au Palais de Chaillot. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 15 avril 2018 à 23h43

On avait suivi Emmanuel Macron jeudi, entre les murs pimpants d'une école normande : face à un Jean-Pierre Pernaut patelin, le chef de l'Etat se faisait pédagogue de ses réformes. On l'a retrouvé dimanche au Théâtre national de Chaillot, à Paris, face aux pugnaces Jean-Jacques Bourdin (BFM TV et RMC) et Edwy Plenel (Mediapart). La salle de classe s'était transformée en fleuron art déco, fenêtres ouvertes sur la tour Eiffel. Une certaine majesté urbaine et culturelle succédait à la modestie rurale. Et c'est un autre genre d'échange qui attendait le chef de l'Etat : opiniâtre, vigoureux, parfois querelleur. Et tellement bienvenu, face à un pouvoir souvent abrité derrière le rideau de la communication. C'est pourtant en chef des armées, rôle souvent consensuel, qu'Emmanuel Macron s'est présenté sur le ring. La veille, en Syrie, la France envoyait douze missiles, soit 10 % du total des frappes, sur des installations liées au programme chimique du régime. Décision que le chef de l'Etat a aussitôt dû justifier : ce pouvoir arbitraire du chef des armées, n'est-ce pas «l'archaïsme d'un pouvoir solitaire», demande Plenel. «Le pouvoir du Parlement est défini par notre Constitution, rétorque un Macron piqué. On ne va pas changer de Constitution parce qu'elle ne vous plaît pas.»

«J’ai besoin de remettre le pays au travail»

La France n'est-elle pas sortie du droit international en frappant sans l'aval de l'ONU ? Non, puisqu'elle aurait agi «pour que les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU ne soient plus lettre morte». Quant à la Russie, elle est «complice» des crimes commis, assène le Président, pour avoir «construit méthodiquement l'incapacité de la diplomatie internationale». Echanges plus vifs encore sur la politique nationale. «Plutôt qu'En marche, votre mouvement ne devrait-il pas s'appeler"En force"?» attaque Plenel. «Est-ce une question ou un plaidoyer ?» rétorque Macron, assurant entendre «toutes les colères», mais ne leur accordant pas à toute la même légitimité : «Le mécontentement des cheminots a peu à voir avec le mal-être des hôpitaux qui dure depuis des années», hiérarchise-t-il, sans considération pour celui des zadistes de Notre-Dame-des-Landes, «des gens qui n'aiment plus l'ordre républicain».

Nouvelle passe d'arme sur le cas Carrefour : le groupe distribue 45 % de ses bénéfices sous forme de dividendes, en même temps qu'il mène un plan social de 2 400 personnes. «Votre rôle est tout simple, faire en sorte que tout cela soit un peu plus égalitaire», lance Bourdin à un Macron piqué au vif : «Je vous remercie de me donner ce que je dois faire. Je ne peux pas être en désaccord avec ce que vous dites», rétorque-t-il. «Alors quelle solution ?» insiste Bourdin. Le chef de l'Etat recule, mais ne cède pas, se disant attaché «d'abord à un dialogue social au niveau de l'entreprise et des branches». Bourdin le coupe : «Mais l'argent vous savez où le trouver l'argent, dans le porte-monnaie des retraités ?» Macron : «J'ai besoin de remettre le pays au travail.» Mais «le pays travaille déjà», l'interrompt cette fois Plenel. «Il y a des gens qui travaillent dur et qui ne gagnent pas assez de leur travail», enchaîne le chef de l'Etat.

Corps à corps

La suite de l'entretien s'avère moins orageuse et pourtant d'une intensité rare pour une interview présidentielle. Emmanuel Macron n'écarte pas l'idée d'un deuxième jour férié travaillé pour financer la dépendance des personnes âgées : «Je ne suis pas contre, c'est une piste intéressante.» Sur la réforme de la SNCF, il précise – a minima – ses intentions concernant la dette de l'entreprise, annonçant que celle-ci sera «progressivement» reprise par l'Etat à partir de 2020. Macron est interpellé sur les violences policières dans les facultés et à Notre-Dame-des-Landes. «La répression, c'est votre façon de fêter Mai 68 ?» demande le patron de Médiapart. «Question cash, réponse cash ?», ajoute-il. «Toujours entre nous», répond Macron, sourire gourmand. Au fil de la soirée, le téléspectateur découvre un Macron qu'il avait oublié. Descendu dans l'arène, comme conscient des limites de son habituelle communication sur papier glacé, Macron a renoué avec l'ex-candidat qui avait affronté Marine Le Pen dans le débat de l'entre-deux-tours. Et surprise : il est presque plus efficace, dans ce combat au corps à corps que dans l'emphase solitaire de beaucoup de ses discours. Le voilà bousculé en direct, contredit, perdant parfois son calme. Mais aussi répondant du tac au tac, défendant ses réformes avec une ardeur nouvelle, argumentant férocement avec Plenel. C'est le grand mérite des deux journalistes d'avoir créé ce moment singulier – quitte, parfois, à perdre le spectateur non averti.

Difficile de dire si Macron est sorti vainqueur de cette émission. Mais celle-ci avait un grand mérite : même dans ces moments de confusion, elle était en phase avec ce moment politique inédit, celui où le pouvoir semble jouer à quitte ou double sur plusieurs fronts.