Le rassemblement de soutien à la «zone à défendre» de Notre-Dame-des-Landes aura finalement eu lieu. Dans la douleur, après des heures de marche pour certains, mais il aura eu lieu. A la mi-journée plusieurs milliers de personnes éparpillées en différents points du bocage ont sorti leurs Tupperware et ont mangé leurs salades de légumes dans les prairies couvertes de pissenlits ou sur les billes de bois d’une scierie, pour le pique-nique annoncé. Le tout au son d’une harpe ou d’une cornemuse le temps d’une bourrée improvisée. Au lieu-dit Bellevue, où s’alignent des bâtiments estampillés «fromagerie», «boulangerie», «bazar», un point info a dirigé les flots de marcheurs, de tous âges et de toutes conditions sociales (agent immobilier, fonctionnaire, enseignant) affluant vers les points accessibles.
«Rage»
Au lieu-dit Wardine, les zadistes ont servi verres de vin ou de cidre pour l'apéritif. Michel, agriculteur de 62 ans, venu avec trois copains du Loir-et-Cher, a répondu à l'appel. «Quand on est agriculteur, on ne peut pas être insensible à ce qui se passe ici, dit-il, en mâchouillant un sandwich. C'est un endroit assez magique. On y mène des expériences très riches. Et quand on a vu comment on a bousculé la vie des gens, comment on a détruit une ferme qui était en train de se déclarer, c'est insupportable.» Amandine, maraîchère de 29 ans, abonde : «Quand j'ai vu la répression qu'il y avait ici, ça m'a mise hors de moi. On parle de violence, mais quand on détruit ton jardin, ta maison, on peut comprendre qu'on ait la rage.»
Dès les premières heures de la matinée, tandis que le vrombissement de l’hélicoptère de la gendarmerie reprenait ses rondes, les choses s’annonçaient pourtant sous les plus mauvais auspices. Les gendarmes mobiles ont en effet dégagé la départementale 81, coupant la ZAD en deux et interdisant tout accès au lieu de rendez-vous initialement prévu. Dans le même temps, il était question d’interpellations aux Fosses noires situées au cœur de la zone. Objectif de ce nouveau déploiement de forces : empêcher la reconstruction des habitations détruites et maintenir les routes dégagées. Du coup, les hostilités se sont déplacées vers l’ouest, non loin du lieu-dit Wardine, aux accès défendus par une barricade de tôles et de voitures calcinées, surmontée d’un mirador fait de bric et de broc.
En fin de matinée, alors que les premiers groupes venus soutenir la ZAD affluaient dans la prairie attenante, les échanges de jets de pierres, de cocktails incendiaires et de grenades lacrymogènes et dispersantes éclataient. «Ils veulent empêcher toute reconstruction mais cette histoire militaire est sans issue, estime Eneko, 61 ans, venu du Pays basque avec sa compagne, tous deux à l'abri dans une vaste grange d'argile et de paille en construction. Comment peut-on contrôler toute cette zone ? Il faudrait des centaines de gendarmes en permanence avec des cahutes pour contrôler les allées et venues. Cela n'a pas de sens.» Sur la prairie, tandis que fusent à la lisière des sous-bois des feux d'artifice tirés par les zadistes, Romuald, grand brun de 46 ans, ouvrier en bâtiment, brandit une pancarte «La ZAD c'est l'avenir, la ZAD c'est la vie» au bout d'une tige de bambou, des «feuilles de plantain mâchées» en guise de bouchons d'oreille pour se protéger des grenades assourdissantes. Au lieu-dit Bellevue, où se retrouvent les familles, un gamin tire son père par le bras : «Dis papa, la guerre, c'est comme ça ?»
Binious
A la mi-journée, alors que la foule s’était rapprochée à quelques mètres à peine des gendarmes mobiles en frappant des mains, une trêve était négociée entre Alexandre, zadiste de 85 ans, et un officier.
Difficile aujourd'hui de prévoir la suite des événements. Si l'Acipa, association historique de défense de la ZAD, appelle au dialogue, la plupart des zadistes sont franchement hostiles aux propositions de la préfète Nicole Klein, qui a fixé jusqu'au 23 avril - un délai impossible selon un agriculteur de la ZAD - la date limite pour présenter des projets et se régulariser à l'aide de «formulaires simplifiés». «Après la destruction de la "ferme des 100 Noms" et tout ce qu'on a subi, comment avoir confiance ? s'interroge Sarah. Tous les jours, on est passé tout près d'une catastrophe. Quand on nous demande de monter des projets agricoles individuels et non collectifs, c'est aller à l'encontre de tout ce qui fait notre vie, la solidarité, l'entraide, avec des agriculteurs, mais aussi des artisans, des boulangers, des gens qui s'occupent de la gestion des haies et des forêts.»
En soirée, une charpente entourée d'un grand cercle de bâtons plantés dans le sol a été symboliquement dressée dans la prairie près de laquelle ont eu lieu les heurts de ce midi. Plus tard, un peu plus loin, dans un champ près de la D81, une scène hallucinante comme seule la ZAD peut en produire. Là, aux sons des binious, des dizaines de manifestants de tous âges sont à quelques centimètres des gendarmes mobiles qui tiennent leur ligne de démarcation sur 200 mètres. Un face-à-face non violent et musical. Un gendarme : «On les laisse danser, mais pas passer la ligne.»
Macron : «La colère des zadistes n'est pas légitime»
A ce qu'il a illico qualifié de «question orientée»d'Edwy Plenel sur la convergence des luttes (cheminots, NDDL, étudiants, hôpitaux…), le Président, fébrile et sur la défensive, a distingué les «colères légitimes correspondant à des réformes en cours» de celle des zadistes. «A Notre-Dame-des-Landes, il y a une décision qui a été prise, qui n'était pas mon inclination initiale. Vous me parlez d'une colère? Mais la colère de qui? Des gens qui depuis des années bloquaient un endroit où on devait construire un aéroport qu'on ne construit pas, et qui aujourd'hui viennent continuer à protester? Je considère que celle-là, elle n'est pas légitime. Et donc elle n'a rien à voir avec celle des cheminots, elle est liée à une décision, oui, parce qu'il y a des gens qui n'aiment plus l'ordre républicain, moi je considère qu'il est juste et qu'il protège nos concitoyens les plus modestes.»