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Libération

Un copilote : «J’ai été longtemps antigrève»

publié le 17 avril 2018 à 20h56

«La situation était catastrophique en 2011 et nous avons accepté des efforts de productivité afin de sauver la compagnie. En tant que copilote sur Boeing 777 rentré en 2000 chez Air France, j'ai abandonné trois jours de congés sur 48 annuels en incluant fins de semaine et jours fériés. C'était cadeau. Sait-on que le taux d'absentéisme des pilotes d'Air France est très faible, de l'ordre de 3 % par an, contre 6 % chez British Airways (BA) et 7 % chez KLM ? Un point d'absentéisme en plus, c'est 10 millions d'euros. En 2006, la limite d'âge avait aussi été déplafonnée à 65 ans, alors qu'elle va passer à 58 ans chez KLM au 1er janvier 2019 ! Résultat, les pilotes de la compagnie sont les plus vieux d'Europe. L'entreprise s'est désendettée depuis 2011 de plus de 2,5 milliards d'euros et elle vient de faire les meilleurs bénéfices de son histoire. On ne demande pas un remboursement de ces efforts mais un rattrapage de l'inflation. Et là, on est face à un mur, celui d'une boîte dirigée par des financiers qui ne prennent dans les comparatifs entre les compagnies que ce qui les arrange. Quand j'entends la direction dire que ce gel n'a pas empêché une augmentation de 4 % par an grâce à l'ancienneté et à la progression dans la grille de qualification, il faut rétablir la vérité. Oui j'ai vieilli, désolé, oui j'ai bénéficié d'avancements prévus dans le contrat que j'ai signé lors de mon embauche ou de mon passage sur un nouvel appareil. Mais je n'aurais pas le droit à l'inflation, alors que le comité exécutif s'est augmenté de 17 % en 2017 ?

Je suis un ancien militaire, j'ai été longtemps antigrève, mais c'est le seul moyen de se faire entendre. J'ai beau très bien gagner ma vie à 56 ans, 12 250 euros net mensuels en moyenne en 2017, je ne vois pas pourquoi j'accepterais de faire une croix sur la hausse du coût de la vie depuis 2011. On nous demande toujours plus et au final, on essaie de faire passer pour une fleur la promesse de nous revaloriser du niveau de l'inflation jusqu'en 2021. Mais c'est juste normal, dans une compagnie revenue dans le vert. Demain, si on fait mieux, on aura quoi ? Rien de plus. Les pilotes d'Air France sont hyperproductifs et on nous fait passer pour des nantis. Les gens savent-ils que chez KLM, il y a quatre pilotes à partir de 12 heures 30 de vol ? Chez BA, quatre aussi, dont deux commandants de bord pour les vols de nuit dès 11 heures ? Alors que chez nous, ce seuil se déclenche à 13 heures 30 ? Et avec un commandant de bord pour trois copilotes, ce qui change le tarif à l'heure [un commandant de bord est mieux payé]. Et chez Delta, on traverse l'Atlantique à trois pilotes à partir de 8 heures, contre deux chez nous jusqu'à 9 heures 30. Si les coûts de l'aérien sont plus chers en France, c'est à cause de problèmes structurels liés à des charges externes et du niveau des cotisations sociales. Ce n'est pas en désindexant les salaires de l'inflation que l'on va résoudre cet écart connu de la direction et de nos gouvernants.»