Le bruit court depuis une dizaine de jours que les Centres d'information et d'orientation (CIO), service public de l'orientation, vivraient leurs dernières heures. «Tout en entretenant le flou, on nous a fait comprendre lors d'une rencontre avec le cabinet du ministre de l'Education que les CIO n'avaient pas vocation à durer dans le temps», affirme Marie-Agnès Monnier, qui représente les psychologues de l'Education nationale, au Snes-FSU, le principal syndicat du secondaire. Contacté par Libération, l'entourage de Jean-Michel Blanquer nuance: «la fermeture des CIO de toutes les académies n'est pas actée. C'est une modification de la carte d'implantation sur le territoire». Dans le même temps, le ministère du Travail prévoit le transfert de la mission d'orientation aux régions dans son projet de loi «pour la liberté de choisir son avenir professionnel» à l'horizon 2019, une décision vivement critiquée par l'ensemble des syndicats.
A quoi servent les CIO ?
Les premiers CIO voient le jour en 1971 dans onze départements pour informer lycéens et étudiants sur les métiers et formations à leur disposition. Jusqu’alors, le service d’orientation, plus restreint, visait surtout les futurs ouvriers, qu’il fallait guider vers l’apprentissage au plus tôt.
On en dénombre aujourd'hui 478 sur l'ensemble du territoire français – un chiffre en baisse constante pour cause de coupes budgétaires. L'objectif reste inchangé : offrir un «conseil individuel» et une «information sur les études, les formations professionnelles, les qualifications et les professions», selon le site du ministère de l'Education nationale dont ils dépendent. Les CIO proposent des rendez-vous personnalisés mais aussi «un fonds documentaire» sur l'ensemble des formations et professions.
«Il faut faire en sorte d'allier les capacités et les envies des personnes qui viennent me voir, c'est un métier à part entière», explique une psychologue de l'Education nationale (psy-EN) travaillant dans un CIO de Vienne (Isère). Le ministère de l'Education nationale compte environ 3 700 psy-EN, partageant leur temps entre CIO et permanences en établissement scolaire. «C'est important de ne pas être que dans les collèges et lycées car certaines familles refusent d'y remettre les pieds», explique Marie-Agnès Monnier qui s'indigne du discours ambiant, entretenu d'après elle par le ministère, selon lequel les CIO ne servent plus à rien à l'heure d'Internet.
Qui va dans les CIO ?
Inutiles, les CIO ? Marie-Agnès Monnier, installée dans le grand CIO de Rouen-Sud, s’inscrit en faux : plus de 6 000 personnes poussent les portes de son centre chaque année. Et ce ne sont pas seulement des ados et leurs parents, même si ce sont les premiers visés lors des moments clés de l’orientation : fin de troisième, de seconde et de terminale.
Contrairement à l'idée que l'on peut s'en faire, les CIO accueillent aussi un public non scolarisé : «décrocheurs scolaires, adultes en reconversion professionnelle, étrangers primo-arrivants sur le territoire français…», énumère Chantal Desenclos, directrice du CIO d'Amiens-Nord, qui estime que ces personnes représentent 20% de son public. Un ordre de grandeur aussi observé au CIO de Rouen.
Quelles sont les craintes ?
Au-delà de la suppression probable de nombreux CIO, un autre projet du gouvernement, mené en parallèle, inquiète les psychologues scolaires. Le 6 avril, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a annoncé que l’Onisep, fort d’une large base de données sur les formations scolaires et professionnelles ensuite distribuées aux CIO, allait être régionalisé dès la rentrée 2019. Chaque direction régionale de l’Onisep (Dronisep) aura sa base de données sans mutualisation à l’échelle nationale. Ainsi, demain, un étudiant de Montpellier pourra avoir accès à des informations sensiblement différentes d’un autre à Clermont-Ferrand.
Le projet de loi porté par le ministère du Travail mettrait la mission et l'avenir des CIO entre les mains des régions. «Elles pourront garder les CIO tels quels, mais pourront aussi leur confier d'autres missions, selon leurs besoins», analyse Marie-Agnès Monnier. Elle craint aussi que certaines régions avec moins de moyens ne mettent pas l'accent sur l'orientation professionnelle : «Toutes les régions ne placent pas l'orientation et la formation professionnelle en tête de leurs priorités», assure-t-elle. Son confrère Vincent Bernaud, également secrétaire national du Sgen-CFDT confirme : «La région pourra décider de sous-traiter la mission, mais personne ne sait quelle attention elle prêtera au choix du prestataire.» La crainte d'une privatisation plane au-dessus des psy-EN.
A lire aussi Réforme de l'université : «Que va-t-il se passer pour les élèves quand le nombre de places en fac sera atteint ?»
Les différents syndicats et personnels contactés par Libération s'accordent à repérer un lien entre cette annonce sur l'orientation et la réforme de l'apprentissage. «Les régions voulaient gérer l'apprentissage depuis de longues années», assure Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes-FSU. Pour Chantal Desenclos, le transfert des Dronisep aux régions fait passer le service d'orientation pour un simple «lot de consolation» auprès des présidents de régions.
L'un dans l'autre, les psy-EN ne sont pas rassurés sur leur avenir. En plus de la régionalisation des Dronisep et la disparition annoncée des CIO, la réforme du ministère de l'Education nationale prévoirait de transférer les psy-EN à temps plein dans les établissements scolaires. Or la réforme pour l'Orientation et la réussite des étudiants (ORE), définitivement adoptée en décembre, leur avait déjà donné le sentiment d'être laissés pour compte. Cette réforme a permis la mise en place d'un deuxième professeur principal dans les classes de terminale. Celui-ci est chargé d'aider et d'accompagner les élèves dans leurs choix d'orientation et leur utilisation de Parcoursup. Rendant de fait presque superflus les psy-EN dont l'orientation est le métier. En bref, l'ensemble de ces réformes est «catastrophique», résume Marie-Agnès Monnier.