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Social

NDDL, SNCF, étudiants : la stratégie du bulldozer

En jouant l’opinion publique contre les mouvements sociaux, la méthode déterminée, voire brutale, de l’exécutif peut s’avérer payante. La preuve par trois conflits différents.
A Notre-Dame-des-Landes, dimanche 15 avril.  (Photo Cyril Zannettacci.)
publié le 19 avril 2018 à 21h16

Pour réformer la SNCF, réorganiser les modalités d’admission des bacheliers à l’université et gérer le devenir du site de Notre-Dame-des-Landes, le gouvernement a engagé un bras de fer avec les cheminots, les étudiants et les zadistes. Un pari risqué : les colères peuvent se conjuguer et il n’est pas sûr que l’exécutif parviendra à imposer partout son diktat.

Universités

Ce que veut Macron : Eviter un nouveau désastre APB, et que des étudiants ne soient tirés au sort pour intégrer une filière où il y a plus de demandes que de places. D'autant que le baby-boom des années 2000 se traduit par une augmentation du nombre d'étudiants, de l'ordre de 30 000 par an. «Ça fait dix-huit ans qu'on sait qu'il va y avoir un problème et on fait comme si on le découvrait», s'agace Pierre Chantelot, en charge des formations supérieures au Snesup-FSU, défavorable à la réforme. Avec Parcoursup, le gouvernement entend, lui, répartir les étudiants dans les différentes filières existantes et parfois boudées des bacheliers.

La méthode : Pour les opposants au texte, le gouvernement a mis en place des discussions qui n'avaient de concertation que le nom. Selon Pierre Chantelot, «la concertation a permis à tout le monde de s'exprimer, même si ce n'était pas forcément des gens représentatifs de la communauté universitaire. On ne savait pas qui était légitime pour parler, et tout était décidé à l'avance. Cette concertation n'était faite que pour nous occuper».

A l'opposé, ceux qui sont favorables au texte jugent que le gouvernement a fait ce qu'il a pu après sa prise de fonction. «La ministre est venue sur le terrain pour expliquer les éléments de la réforme, explique Gilles Roussel, de la Conférence des présidents d'universités. On a été accompagnés. Il était difficile de faire plus en amont compte tenu des délais.» Quelque 63 présidents d'université ont d'ailleurs pris, jeudi, la défense de la réforme tout en réclamant des moyens pour ne pas «la condamner à l'échec», dans une tribune publiée sur LeMonde.fr.

Bénéfices et risques : Avec sa loi ORE (sur l'orientation et la réussite des étudiants), le gouvernement prenait-il le risque d'une vaste fronde chez les étudiants et lycéens, comme celle à laquelle avait été confronté en 1986 le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Alain Devaquet, qui proposait déjà d'introduire une forme de sélection à l'université ? Probablement pas. D'abord, parce que les mentalités changent : cet automne, un sondage Ipsos pour l'Obs montrait que 65 % des 16-24 ans n'étaient pas défavorables à la sélection, soit près de 20 points de plus qu'il y a dix ans (43 %). Ensuite, parce que le syndicat majoritaire dans le supérieur, la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), est favorable à la réforme. Dans ces conditions, difficile pour les organisations qui y sont opposées, comme l'Union nationale des étudiants de France (Unef), minoritaire, de mobiliser. Les vacances de printemps qui arrivent pourraient en outre faire s'essouffler la mobilisation.

Réforme de la SNCF

Ce que veut Macron : Réformer la SNCF du sol au plafond. Cet automne, lorsque la ministre des Transports, Elisabeth Borne, missionne l'ancien PDG d'Air France, Jean-Cyril Spinetta, pour un rapport sur l'avenir du transport ferroviaire, il lui donne toute latitude. Le résultat dépasse même les ambitions de l'exécutif. Fin du statut des cheminots, reprise de la dette par l'Etat, ouverture à la concurrence et même fermeture potentielle de 9 000 km de lignes secondaires.

La méthode : Soucieux de ne pas avoir à affronter, en même temps, les syndicats et les élus locaux, le gouvernement fait machine arrière sur la fermeture des petites lignes. En revanche, Matignon choisit une méthode radicale pour les autres mesures préconisées par le rapport Spinetta. Ce sera une mise en œuvre par ordonnances, sauf pour les mesures qui auront suffisamment avancé lors des négociations entre le gouvernement et les organisations syndicales. Le calendrier choisi est, en outre, extrêmement serré. Le texte de loi autorisant le gouvernement à prendre des ordonnances doit avoir été voté d'ici à la fin du mois de juin. L'ouverture à la concurrence débutera en décembre 2019 et la fin du recrutement au régime du statut des cheminots est prévue en janvier 2020. Pour faire passer cette réforme, le gouvernement a choisi de jouer l'opinion contre les cheminots. Entre la fin du mois de février et la mi-mars, les membres de l'exécutif se succèdent pour pointer les faiblesses et le manque de compétitivité de la SNCF avant que le PDG de l'entreprise, Guillaume Pepy, ne s'émeuve publiquement du «SNCF bashing». Face à la grève, le ministère des Transports, comme Matignon, a choisi l'intransigeance, allant même jusqu'à annoncer des mesures non prévues, comme la filialisation du secteur fret de la SNCF.

Bénéfices et risques : Jusqu'à présent, l'unité syndicale CGT, Unsa, SUD rail, CFDT n'a pas vacillé. Elle semble s'être renforcée, puisque les quatre organisations représentatives ont choisi, d'une seule voix, de claquer la porte des négociations avec la ministre des Transports. Elles exigent, désormais, une discussion directe avec le Premier ministre. Les arrêts de travail programmés à raison de deux jours sur cinq pourraient durer jusqu'au mois de juin, tant le gouvernement n'entend pas céder d'un pouce sur les points clés : comme la fin du statut de cheminots ou la possibilité, pour les agents de la SNCF, de refuser d'être transférés chez un autre opérateur ferroviaire, dans le cadre de l'ouverture à la concurrence.

Evacuation de la ZAD

Ce que veut Macron : En abandonnant le projet d'aéroport, en janvier, le gouvernement estime avoir fait preuve de «courage politique». Pas question donc, pour Edouard Philippe, de passer pour un laxiste aux yeux de ses anciens amis de droite. Pour mettre fin à la «zone de non-droit», il a sommé les zadistes de rouvrir à la circulation la «route des chicanes» et de rentrer dans la légalité (permis de construire, paiement des taxes et impôts, etc.). La ZAD retrouvera aussi sa vocation agricole, mais pas question pour autant de donner du crédit à José Bové. «Le Larzac n'est pas reproductible ici», a rappelé Nicolas Hulot venu mercredi à Nantes.

La méthode : Contraint par la trêve hivernale, le gouvernement a pu initialement temporiser. Les zadistes avaient donc jusqu'au 31 mars pour déposer un dossier de «projet agricole individuel». Y voyant le germe de la division, ces derniers ont refusé, préférant déposer un projet de «convention collective»… comme au Larzac. Pis, la frange la plus radicale d'entre eux a rétabli des chicanes sur la D281. L'affront de trop pour Edouard Philippe, qui fait déployer le 9 avril entre 2 200 et 2 500 gendarmes sur la ZAD pour procéder à son évacuation «partielle». La «ferme en devenir» des Cent Noms, qui avait pourtant tout pour être régularisée, fait partie des 29 «lieux de vie» (sur 97) détruits. Le message est clair, désormais : s'ils n'ont pas déposé de dossier individuel d'ici à lundi, tous les autres «habitats précaires» de la ZAD seront rasés.

Bénéfices et risques : Un mois de grève, ça finit par coûter cher à un cheminot. Difficile, en revanche, d'assécher financièrement un zadiste. C'est même plutôt l'Etat qui trinque : le coût de l'évacuation s'élèverait à 400 000 euros par jour, selon une note du ministère de l'Intérieur révélée mercredi par le Canard enchaîné. Il faut donc aller vite, ne serait-ce que pour ne pas trop déplumer la lutte antiterroriste. «Il serait salutaire que les 2 500 gendarmes puissent retourner à des missions essentielles pour la sécurité des Français, souligne Nicolas Hulot. Ça aussi, ça fait partie de la responsabilité de chacun.»