Vendredi matin à l'entrée de la rue Saint-Guillaume, la présence de quelques CRS attire l'attention des passants : le navire amiral de Sciences-Po Paris – le «27» comme les étudiants l'appellent – est occupé par plusieurs dizaines d'étudiants. Au balcon, une banderole «No border, no nation, stop deportation!», un message visant à dénoncer la loi asile et immigration. «Il n'y a toujours pas de cours au 27» explique Clémence, étudiante en master 2, «ils ont été annulés ou déplacés dans d'autres bâtiments de l'école». Aux portes du «27», la sécurité veille à l'entrée et à la sortie des étudiants mobilisés. Vers 11 heures, après avoir négocié avec l'administration, ces derniers ont réussi à obtenir l'autorisation d'étudiants grévistes qui n'avaient pas pu passer la nuit dans les salles occupées, avant le déblocage du bâtiment à 13 heures et la reprise des cours.
Après une consultation en ligne organisée jeudi par l’administration de Sciences-Po, le compte twitter officiel de l’école a annoncé vendredi soir que 67,2% des étudiants avaient répondu non à la question «Approuvez-vous l’occupation ?» 24,8% ont répondu oui, tandis que 8,1% se sont abstenus. Au total, 6 396 étudiants de Sciences-Po sur 13 000 ont participé à ce scrutin.
Une consultation irrecevable pour l'assemblée générale : «Jeudi, c'était la manifestation qui appelait à la convergence des luttes. La plupart des étudiants qui auraient voté oui au sondage étaient mobilisés dehors, aux côtés des autres manifestants.» s'indigne Eva*, une des étudiantes ayant occupé le «27» cette nuit. «C'était en ligne, et pas forcément sécurisé au niveau de l'anonymat, certains responsables pédagogues se sont même permis d'appeler les étudiants à voter non.» Toujours devant les portes d'entrée, Djibril, étudiant en master : «L'assemblée générale s'est réunie hier soir avec la volonté d'engager un véritable débat démocratique. L'amphi principal était plein à craquer, il y avait plusieurs centaines d'étudiants à l'intérieur comme à l'extérieur, pour ou contre l'occupation. Ça a duré très tard, après minuit, raconte-t-il. Il y a eu plusieurs débats, dont celui sur la présence du drapeau palestinien qui avait été accroché hier et qui a finalement été enlevé après la réunion. Concernant le report de l'occupation du 27, les votes étaient très serrés, et c'est le pour qui l'a emporté.»
Revendications persistantes
Vendredi après-midi, l'administration de Sciences-Po a annoncé la fin du blocage du bâtiment 27. Une décision qui n'impacte pas la mobilisation des étudiants : «L'administration a autorisé l'occupation des deux salles du 27 pour lundi prochain, afin de mettre en place des ateliers alternatifs et conférences de l'AG. C'est pour favoriser des discussions et débats. On ne sait pas encore quelle tournure va prendre la suite de la mobilisation. Des discussions sont prévues ce week-end», explique Raphaël*. Visage creusé, l'étudiant de Sciences-Po confie qu'il faisait partie des occupants du «27» cette nuit. Pour lui, comme pour beaucoup de mobilisés, rien n'est terminé. «Nous nous opposons toujours à la loi ORE, à la loi asile, à la réforme SNCF, assure-t-il, et nous sommes bien sûr solidaires des autres mouvements universitaires dont celui de Tolbiac qui a été délogé cette nuit par des CRS.» Mais au-delà de ces revendications, certaines restent toujours bien spécifiques à Sciences-Po, comme en témoigne Julian*, en master international énergie : «On s'oppose toujours à l'idéologie néolibérale présente dans les cours. Dans mon master, les intervenants sont presque tous liés à l'entreprise Total. On sent même du climatoscepticisme chez certains !»
Les occupants de Sciences-Po Paris savent également que d'autres IEP ont suivi leur mouvement avec des blocages, parfois partiels, contre la réforme de l'accès à l'université. L'IEP de Rennes a ainsi été fermé ce vendredi, pour la deuxième journée consécutive. Une solidarité qui pousse ces étudiants parisiens à garder en tête leur objectif de «construire une pédagogie nouvelle et de décloisonner les savoirs», comme revendiqué depuis mardi soir.
*. Les prénoms ont été changés